mardi 29 décembre 2015

Le ventre de l'Atlantique: Partir ou rester?


Nombreux sont ceux qui ont vu le passage de Fatou Diome sur le plateau de « Ce soir ou jamais »; mais au cas où vous n’en faites pas partie vous pouvez toujours visionner l’émission ici. C’est donc grâce à cette prestation remarquable que j’ai découvert l’écrivaine et que j’ai décidé de lire Le ventre de l’atlantique. Basé sur sa propre histoire, ce roman évoque les raisons qui poussent certains Africains à immigrer en Europe, la difficulté à convaincre les autres à rester au bercail et la réalité cachée par certains immigrés de la vie en France. 


Le personnage principal Salie dont la vie est pratiquement celle de Fatou Diome, vit en France et peine à y joindre les deux bouts. Pourtant, bien qu’elle encourage les autres à chercher un mieux-être sur leurs propres terres, elle-même a du mal à y retourner définitivement. Issue d’une liaison illégitime, elle ne s’est jamais senti membre de la communauté de Ndiodior. Si en France la chaleur des siens lui manque, elle se sent toutefois étrangère chaque fois qu’elle retourne au Sénégal. Son frère Madické quant à lui, ne vit que pour rencontrer le joueur italien Maldini. Comme tous les autres jeunes du village, il rêve de jouer au football en France. Pour eux, la vie à Ndiodior ne vaut rien et seul l’occident peut leur permettre de réaliser leus rêves et assouvir les besoins de leurs familles. Malgré les conseils de Salie et les mises en garde de l’instituteur et directeur de l’école du village, les jeunes continuent de croire en ceux qui revenus de la France leur disent que tout y est or et argent.

Dans ce livre, Fatou Diome décrit le poids qui pèse sur certains jeunes Africains. Les parents espèrent que leurs enfants réussissent là où ils ont échoué. La colonisation mentale dont nous sommes l’objet nous pousse à croire que tout ce qui vient de l’occident est meilleur et que le bonheur se trouve uniquement de l’autre côté de l’atlantique. Certains ne se rendent pas compte de la pression que subissent ceux qui se trouvent en occident et quand bien même ceux-ci voudraient le leur expliquer, ils se retrouvent traités de tous les noms : égoïste, individualiste… On ne comprend pas pourquoi est-ce qu’ils restent en Europe et découragent les autres de suivre leurs traces. On ne comprend pas qu’il ne suffit pas d’être en France pour que tout aille bien. Qu’il ne suffit pas d’être le plus débrouillard au village pour arriver à tirer son épingle du jeu en Hexagone.

« Ah sacrée France, c’est peut-être parce qu’elle porte un nom de femme qu’on la désire tant. »


Le ventre de l’Atlantique montre également le tourisme sexuel que certains européens effectuent au Sénégal – sans visas – afin de se requinquer grâce à des jeunes corps pleins de mélanine. Parfois, pour mieux s’abreuver à la source de jouvence, certains retournent en Europe avec un ou une sénégalaise qui malgré les difficultés une fois sur place se console à travers les mandats qu’elle peut envoyer à sa famille au bercail…

Je me suis posée la question de savoir comment faire comprendre aux Africains que c’est à nous de construire notre eldorado et qu’il ne se trouve pas ailleurs. D’après ma lecture, je pense que deux solutions s’ouvrent à nous. Soit les aider à construire cet eldorado en soutenant la formation de projets au pays, soit en les laissant foncer droit dans le mur, en tirer des leçons et peut être les partager avec les autres… 


Au-delà du phénomène de l’immigration, Fatou Diome fait la satire d’une société capable d’assassiner des enfants sous prétexte qu’ils sont issus de relations illégitimes. Une société aveuglée par les serments des marabouts, recherchant le bonheur dans les gris-gris tout en prétendant ne pas y avoir recours. Une société dans laquelle la richesse se mesure aux nombres d’enfants quand bien même on n’aurait pas les moyens de s’en occuper... Je suis d’avis que l’occident y est pour beaucoup dans les malheurs de l’Afrique mais comme l’instituteur le fait remarquer dans ce roman, il serait important que nous fassions une rétrospection sur notre société et évitons les erreurs du passé pour avoir un meilleur avenir.

lundi 21 décembre 2015

Le film d'une vie ou une hymne à la tristesse?



Elle n’a pas encore 21 ans lorsqu’elle écrit ces lignes. Sa plume chante et les mots dansent au rythme de ses émotions, de ses pensées. Elle laisse s’étaler sur cette page blanche des peines qu’elle a vécues ou observées autour d’elle. Elle sait qu’elle n’est pas seule, que d’autres personnes souffrent également alors elle écrit en pensant à eux, en voulant leur rendre un témoignage et leur dire que la lutte continue…

Le film d’une vie
est un recueil de 17 nouvelles écrites par Ouattara Sikatchi Malicka, jeune bloggeuse et écrivaine ivoirienne. Guidée par sa propre histoire et celle de ses proches, Malicka raconte la tristesse. Bien qu’ayant déjà lu la plupart des nouvelles auparavant, je les ai explorées avec un plaisir renouvelé. Plusieurs thèmes revenaient comme les grossesses précoces ou hors mariage, les amours d’adolescents, les relations inter-religieuses, l’infidélité mais surtout la mort… Deux de mes nouvelles préférées dans cette oeuvre sont d’ailleurs sur le thème de la perte d’un être cher. Plutôt qu’une histoire linéaire, "Elle souffrira toujours" se présente comme une sorte de soutien, comme pour dire à ceux qui souffrent de la perte d’un être aimé qu’ils ne sont pas seuls et que leur douleur est partagée. La nouvelle "Je t’aime" quant à elle a bien failli m’arracher une larme alors que j’essayais d’imaginer les sentiments d’un enfant qui vient de perdre un parent...

              


En lisant j’ai eu l’impression que l'auteur avait un faible pour les prénoms en « i »: Marie, Céline, Pauline, Véronique, Anni, Adeline, Stéphanie, Jérémie… je me demande si j’ai été la seule à le remarquer. La nouvelle à laquelle l’oeuvre doit son titre est l’histoire de Marie, une jeune fille aveuglée par les artifices de la vie. Issue d’une famille modeste, elle croit avoir trouvé en Diouf, un homme beaucoup plus âgé et aisé, le moyen d'accéder à de plus hautes sphères. Malgré l’opposition de sa famille, elle se lança la tête la première dans un very bad trip. Elle découvrira bien assez tard que tout ce qui brille n’est pas forcement or...

J’ai été surprise d’être étonnée par la fin de l’une des histoires alors que je l’avais déjà lue et c’est exactement le genre d’effet que je recherche en lisant. Les nouvelles sont courtes mais je n’en ressors pas avec un goût d’inachevé car on a le temps de vivre les émotions des personnages. Étrangement, j’ai moins aimé les deux plus longues nouvelles parce que je trouvais que tout se passait trop vite. Il y avait ce petit quelque chose dans les autres qui leur manquait. Et j’ai pensé que la nouvelle "Le film d’une vie" aurait été sûrement meilleure en roman afin que l’histoire soit beaucoup plus détaillée.

Malicka Ouattara 

Cette oeuvre relate également l’histoire de ces personnes en attente de don d’organes, de femmes qui demeurent dans des foyers où le bonheur s’est depuis longtemps enfui, de pardon qui vient trop tard, d’amour impossible entravé par les différences sociales ou religieuses, de personnes gardant des secrets lourds à porter… J’ai d'ailleurs beaucoup aimé l’histoire 'La petite Sadjee". J’aurais évidemment voulu connaître le secret qui liait Sadjee et sa mère au point où elles se suivirent dans la tombe mais c’est aussi ces mystères que l’on ne révèle à personne – pas même aux lecteurs – qui me font apprécier une histoire.

Enfin, Le film d’une vie se présente sous un ensemble d’histoires courtes mais poignantes que j’aimerais bien voir être lues dans nos lycées et collèges. Le talent de Malicka est une autre preuve que La valeur n’attend point le nombre des années.

lundi 14 décembre 2015

L’aventure ambiguë, une aventure risquée !


Il y a des mots que l’on emploie parfois à tort ou à raison sans vraiment en connaitre le sens. J’ai souvent pensé que « ambigu » signifiait juste complexe. Mais avant de lire ce livre, j’ai eu (heureusement) l’idée de vérifier la signification réelle du mot et j’ai compris qu’il faisait référence à quelque chose qui réunit deux natures opposées… Et l’itinéraire de Samba Diallo dans ce livre illustre l’ambiguïté d’un être ayant reçu d’un côté les valeurs traditionnelles et islamiques basées sur la foi et de l’autre les enseignements de l’école occidentale basés sur le rationalisme et la science. L’aventure ambiguë fait partie de ces livres dont j’entendais parler comme des références pendant plusieurs années sans avoir eu l’occasion de les lire pendant mes années lycées. Aujourd’hui c’est chose faite!

Samba Diallo est issu du peuple des Diallobé et semble promut à un avenir de guide spirituel (maitre des Diallobé) ou de chef du peuple. Dès son enfance, il se démarque des gens de sa génération par une réflexion profonde sur la mort, le sens de la vie et la relation entre Dieu et l’homme. Élève favori du maitre des Diallobé, et membre de la famille royale, Samba est pourtant doté d’une grande humilité qui en fait même jaser certains. Alors que son attachement à la religion le destinait à être l’un des guides de son peuple, l’école se mit en travers de ce chemin. La Grande Royale, cousine de Samba et sœur du Chef des Diallobé, insiste pour que Samba aille à l’école étrangère - comme elle le dit -, afin qu’il apprenne l’art de vaincre sans avoir raison. Le chef ainsi que le maitre des Diallobé savent ce que cela pourrait signifier et les conséquences qui pourraient en découler. Le père de Samba Diallo lui-même accepte non sans douleur de laisser son fils aller à l’école en espérant que les valeurs spirituelles et traditionnelles qui lui ont été inculquées ne disparaitront pas. Avec le parcours de Samba Diallo d’abord en tant qu’élève de l’Islam, puis de l’école occidentale en Afrique et ensuite en France, on se demande comme le chef et le maître au départ, si « ce que l’on apprend vaut-il que l’on oublie ce que l’on sait déjà. » 



Cheickh Hamidou Kane nous amène à nous poser les mêmes questions que le personnage principal. En lisant ce livre, je ne me suis pas juste sentie spectatrice de la vie de Samba Diallo. J’ai eu certains de ses doutes et j’ai récité certaines de ses prières. Samba a baigné dans une enfance beaucoup plus spirituelle que la mienne et surement que la plupart de mes lecteurs, mais cela n’empêche pas que nous sentions ou ayons tous senti à un moment cet éloignement entre nous et Dieu. Cette remise en question imposée par le père de Samba à son fils est l’un des plus beaux passages du livre selon moi.

"Tu crains que Dieu t'ait abandonné, parce que tu ne le sens plus avec autant de plénitude que dans le passé et comme Il l'a promis à Ses fidèles, « plus proche que l'artère carotide. » Ainsi, tu n'es pas loin de considérer qu'il t'a trahi. Mais tu n'as pas songé qu'il se puisse que le traître, ce fut toi. Et pourtant... Mais réponds plutôt: donnes-tu à Dieu toute sa place, dans tes pensées et dans tes actes? T'efforces-tu de mettre tes pensées en conformité avec Sa loi? Il ne s'agit pas de lui faire allégeance une fois pour toute, par une profession de foi générale et théorique. Il s'agit que tu t'efforces de conformer chacune de tes pensées à l'idée que tu te fais de son ordre. Le fais-tu? (...) Ton salut, la présence en toi de Dieu vivant dépendent de toi. (...) Tu cloueras Dieu au pilori quand tu l'auras quêté, comme Il l'a dit, et qu'Il ne sera pas venu..."
Ce livre proche de l'autobiographie soulève comme bien d'autres des questions d'identité et de spiritualité. Il nous revient de faire la part des choses et de concilier nos valeurs traditionnelles ou/et religieuses et ce que nous apprenons à l'ecole. Apprendre, en essayant de ne pas oublier ce que l'on sait déjà... 

Comment réagissez-vous lorsque vous êtes face à une situation qui met votre foi à rude épreuve ? Comment est-ce que Samba a réagi en étant confronté à des valeurs différentes de celles que lui a  enseigné son maître coranique? Si vous avez envie de savoir, eh bien lire délivre !

lundi 7 décembre 2015

Raison d’État ou la loi du plus fort!


Il a suffi de quelques pages pour me mettre en rogne. Ce livre a vraiment de quoi nous faire désespérer du genre humain, de la justice ivoirienne (africaine par extension) et du système politique de notre pays. Bien que fictive, l’histoire relatée ici est très proche de nos réalités.

Au moment où Éric Moyé relate son récit, il vient de rejoindre l’au-delà. J’ai aimé cette touche macabre qui nous permet de découvrir le vivant d’un homme à travers ses mots de mort. Éric, le personnage principal et narrateur a été victime d'un piège ficelé par des énergumènes sans foi ni loi voulant jouir d’un labeur auquel ils n’ont aucunement contribué. Son histoire m’a fait penser à ces nombreuses arnaques o
ù l’on se demande quand on n’est pas dans la situation comment est-ce que la victime a pu se laisser berner de la sorte. Comme la fiancée de Moyé le lui a signifié, il est très naïf. C’est sa grande foi et confiance aveugle en le genre humain qui a causé sa perte. L’apparition dans sa vie de Dame Koundessa la soi-disant sœur de la Première Dame, et de son acolyte le baron Toutré a mené un chef d’entreprise à succès en prison avant de le conduire au cimetière municipal de Yopougon. Au nom de quoi ? La Raison d’État. 

Raison d’État dénonce un système où règne la loi du régime politique en place. C’est d’autant plus révoltant que nous savons tous que ce genre de choses a vraiment lieu sous nos cieux. Nous sommes dans des pays ou un honnête citoyen peut se retrouver derrière les barreaux sans jugement parce que des individus mal famés mangeant à la table du pouvoir en place en ont ainsi décidé. Votre vie peut être gâchée au nom de la « Raison d’État » sans que vous n’ayez le temps de comprendre ce qui se passe. En 72 pages, André Silver Konan évoque la vie pénitentiaire à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan, l’excision, les croyances et les vindictes populaires en mettant surtout l’accent sur la violence, la corruption et l’injustice, du système judiciaire.

Après avoir lu ces pages, on pourrait être tenté de faire preuve d’une grande méfiance à l’égard de tous ceux que nous rencontrons. Heureusement, l’auteur nous donne quand même de l’espoir avec certains personnages. La générosité du beau-père de Moyé, et la manière dont il le traite, contraste avec toutes les histoires que nous entendons parfois sur les beaux-parents. Quant à Katy la fiancée d’Éric, elle est la personnification de l’expression « pour le meilleur et le pire » car malgré les difficultés, elle a supporté son fiancé jusqu’à la tombe. Bessa l’ami fidèle, Rougeau le voleur né rouquin et noirci par la galère (il ment oh !), et enfin l’avocat Me Djouman dont le zèle et l’ardeur sans faille n’ont certes pas sauvé la vie de Moyé mais ont pu empêcher ses bourreaux de faire main basse sur le fruit de son travail.

https://twitter.com/andresilverkona

Au final, Raison d’État est un livre que je recommande vivement. L’écrivain avec un vocabulaire simple arrive à faire passer son message à tout le monde. Il est temps que nous délaissons certains systèmes qui s’ils bénéficient à certains pendant un moment, nuisent malheureusement à tout le monde sur le long terme. J’ai lu ce livre en moins de 3 heures de temps et pour 2000 frs seulement vous aussi pouvez passer un agréable moment de lecture.

samedi 5 décembre 2015

Sandy la catastrophe...3


Illustration par Tatou Dembele

La douceur de la voix le surprit, autant que ce qu’il avait sous les yeux. Il voyait un superbe corps qui n’avait rien à envier aux pom pom girls du campus. Il s’attendait à revoir un sexe masculin en lieu et place de l’appareil génital féminin comme il y avait de cela trois années. Mais au lieu de ça, ce qu’il aperçut eut le don d’éveiller en lui un sentiment de désir inapproprié compte tenu de la situation. Que s’était-il passé ? Comment cela se faisait-il qu’elle était devenue « normale » ? Évidemment il n’y avait rien de normal au fait qu’elle soit en train de préparer sa mort, mais physiquement, elle n’aurait pas du être ainsi constituée.

- Tu t’es fait opérer ? Demanda-t-il avec un mélange de surprise, de peur et de désir dans la voix.
- Oui. Je me suis fait enlever ce sexe qui faisait de moi la risée du campus. J’ai enlevé ce truc qui m’a empêché d’avoir une vie normale pendant de nombreuses années. Et à présent j’ai l’intention de te débarrasser du tien également.

Ryan ne sut plus quoi répondre. Son sort avait l’air d’être déjà scellé. Pourquoi n’avait-il pas quitté la ville quand cette folie meurtrière avait débuté ? Il avait refusé de croire au début, lorsque Brice avait été retrouvé mort et émasculé, que cela avait quelque chose à voir avec cet incident trois années en arrière. Mais en voyant chacun de ses compagnons disparaitre au fur et à mesure, il avait pris conscience du danger qui planait sur sa vie. Et pourtant il ne s’était pas résolu à s’enfuir. Il s’en était voulu aussitôt qu’il avait commis sa bêtise et avait passé les dernières années à chercher un moyen de se faire pardonner. Il savait que rien n’aurait pu effacer ce qu’ils avaient fait. Mais lorsque Sandy s’était enfuie de l’université, il avait arrêté de trainer avec ses pseudos amis. Il avait compris qu’il ne servait à rien de chercher à leur plaire s’il fallait pour cela blesser des gens sur le chemin. C’était vrai que le manque d’un cocon familial le poussait à chercher sans cesse la compagnie des autres et à se faire accepter. Orphelin et balancé de familles d’accueil en orphelinats, il pensait que réussir à intégrer un groupe d’étudiants branchés lui aurait apporté l’amour dont sa famille biologique et les autres ayant suivi avaient refusé de le gratifier. Mais en voyant l’horreur dans les yeux de Sandy quand il lui arrachait ses vêtements, en voyant les larmes ruisseler sur son visage en découvrant ses photos placardées sur les murs du campus, il avait compris qu’il avait emprunté un mauvais chemin. Il repensait encore au passé lorsqu’il sentit une douleur fulgurante lui traverser la poitrine.

Sandy avait enfoncé à nouveau la lame de son couteau dans l’incision qu’elle avait déjà faite. Elle avait préparé un véritable plan de torture mais à présent elle se demandait si elle irait jusqu’au bout. Que ferait-elle après ce dernier meurtre ? Elle se dit qu’elle aurait peut-être dû faire durer son supplice en le laissant errer dans la ville se demandant quand elle se déciderait à agir. Mais elle se rappela qu’elle aurait pu perdre ses traces si elle avait attendu trop longtemps. Elle s’était préparée pour accomplir sa vengeance durant les derniers mois et elle se rendit compte qu’elle n’avait aucune idée de ce que serait sa vie lorsqu’elle en aurait fini avec Ryan. Grâce à son opération elle aurait pu avoir une vie « normale » dans un autre endroit. Quitter cette ville qui ne lui avait rien apporté de bon lui aurait fait beaucoup de bien. Mais les enquêtes faisaient d’elle le suspect numéro un. Les policiers avaient réussi à établir un rapport entre cette étudiante hermaphrodite qui avait été humiliée quelques années plus tôt et les meurtres qui avaient eu lieu dernièrement. On la surveillait comme du lait sur le feu et elle s’étonna encore qu’elle ait pu échapper aux inspecteurs qui lui collaient aux fesses pour s’occuper de Ryan. Elle avait interdiction de quitter le territoire et une tentative de quitter l’Etat par les airs se solderait forcement en un échec. Elle soupira et se demanda pourquoi est-ce qu’elle était envahie par toutes ces pensées alors que se trouvait devant elle un homme qui ne demandait qu’à se voir arracher le souffle de vie.

Il fut surpris de la voir se rhabiller, mais encore plus lorsqu’il sentit ses lèvres sur les siennes.

- Tu sais avant ce jour-là, j’avais le béguin pour toi. Ce que tu m’as fait m’a profondément blessée, d’autant plus que je te croyais mon ami.
- Je le sais, répondit-il. J’ai commis une erreur. J’ai voulu être cool et accepté par les autres mais je sais que je n’aurais jamais dû faire ça.
- J’espère que tu ne penses pas que cela effacera ce que tu as fait.
- Non. Je sais déjà que tu as décidé de mon sort. Je sais que tu me tueras peu importe ce que je pourrai dire. Mais je tenais juste à te dire encore une fois que pas une nuit ne s’est passée sans que je n’en fasse des cauchemars.

Sandy laissa éclater un rire cynique qui contrastait avec sa beauté et la douceur de sa voix.

- C’est moi qui suis agressée et c’est toi qui en fais des cauchemars. Elle est bien bonne celle-là. As-tu une idée de ce que j’ai l’intention de te faire ?
- Me tuer je devine, comme avec les autres.
- Oui, mais pas d’une mort douce. J’ai l’intention de prendre mon temps pour te faire sentir la douleur que tu m’as infligée.

Illustration par Saraï D'Hologne

Tandis qu’elle parlait, Sandy s’était éloignée de lui. Mais à présent elle avançait d’une démarche féline, telle une prédatrice à l’affut de sa proie. Elle lui empoigna les testicules de façon violente et y appliqua la lame mal aiguisée de son deuxième couteau. Ryan hurla de douleur tandis que ses appareils reproducteurs le quittaient progressivement. A-t-on idée de faire souffrir ainsi un être humain ? Il n’y avait que dans les films que ce genre de choses arrivait. Sandy se rendit compte que la tache devenait difficile et qu’elle perdrait trop de temps. Les cris de Ryan la touchaient au plus profond d’elle. Elle se sentait affectée et s’en voulut d’avoir pitié de lui. Il ne méritait en aucun cas sa pitié étant donné qu’il ne l’avait pas épargnée elle. Elle lâcha le couteau qu’elle utilisait et pris l’autre à la lame plus tranchante. De façon abrupte elle coupa les morceaux de chair qu’elle tenait entre les mains. Ryan perdait beaucoup de sang et pour éviter qu’il ne tombe en syncope, elle lui administra rapidement un coagulant pour stopper l’hémorragie et la morphine qu’elle avait préparé pour atténuer la douleur. Pourtant, il perdit quand même connaissance avant qu’elle commence à lui perfuser une poche de sang. Elle n’avait aucune envie qu’il meurt maintenant. Il était sa dernière victime et elle comptait bien en profiter longtemps avant que la police ne l’arrête, qu’elle ne se tue, ou qu’elle réussisse à s’enfuir hors du pays… Fin

mardi 1 décembre 2015

Sandy la catastrophe...2

Sandy la catastrophe...1ere partie

 Illustration par Saraï D'Hologne

Il pouvait humer assez fortement le parfum qu’elle dégageait lorsqu’elle lui effleura le cou de ses lèvres. Baiser froid, aussi glacé que le vent qu’il y avait en dehors des murs de l’établissement. Il ne savait pas comment il était arrivé là. Il ne savait par quelle magie elle avait pu le trainer jusqu’à cet amphithéâtre. Mais à présent il se retrouvait nu dans cette grande pièce avec celle qui ne voulait en aucune manière son bien. Elle lui tourna autour pendant longtemps avec dans ses yeux une flamme sur laquelle il n’arrivait à mettre aucune émotion. Désir ? Colère ? Tristesse ? Il n’aurait pu dire ce qui l’animait pendant qu’elle faisait passer ses mains sur son torse nu. Ses mains étaient encore moins chaudes que le baiser de tout à l’heure. Il commença à grelotter. Sa peur l’avait empêché de penser au fait que son membre était exposé à l’air libre, mais un courant d’air sur ses parties génitales le lui rappelèrent. Il pensa à couvrir son intimité et se rendit compte alors que ses mains avaient disparu. Comment cela se faisait-il qu’il ne s’en était pas rendu compte plus tôt ? Il ne ressentait aucune douleur. Là où devait se trouver des phalanges recouvertes de chair et le tout emballées de peau humaine, trainait de vieilles bandes tachées de sang mais que l’on devinait blanches avant l’opération. Qu’avait-elle l’intention de lui faire ? Il n’eut pas le courage de lui poser la question. Il ne sentait pas la douleur qui aurait dû l’habiter et après avoir vu ses mains amputées, il commençait à ne plus avoir peur non plus...

Dans sa tête, de nombreuses idées se bousculaient. Ça avait été beaucoup plus facile qu’elle ne l’imaginait. Contrairement aux autres, il était déjà déboussolé et n’était pas très souvent en compagnie d’autres étudiants sur le campus. Sandy n’avait pas eu besoin de faire beaucoup d’efforts pour l’endormir et le transporter jusqu’à chez elle. Quelques tablettes de Nitrazepam dans sa boisson, et elle n’avait eu qu’à le faire transporter par le même bon à rien qui l’avait aidée précédemment. Le reste n’avait été qu’un jeu d’enfants mais rien comparé à ce qu’elle s’apprêtait à lui faire subir. D’ailleurs elle devait trouver une solution pour faire taire son aide de camp si elle voulait que la police n’ait pas de preuves suffisantes pour l’arrêter. Cet idiot qu’elle avait déniché dans les endroits sombres de la ville pouvait ouvrir sa bouche à n’importe quel moment. Son aptitude à être ivre dès les premiers rayons de soleil faisait de lui une faille dans son projet. D’ailleurs c’était la seule erreur qu’elle avait commise jusque-là. Elle avait eu besoin de quelqu’un pour transporter ses victimes et avait choisi la première personne qu’elle avait eue sous la main. Elle s’était rendue compte de son erreur des qu’il lui avait demandé si elle avait quelque chose a voir avec les meurtres dont tout le monde parlait dans la ville. Il était pourtant celui qui avait soulevé toutes les victimes, mais apparemment l’alcool qu’il ingurgitait à longueur de journée l’amenait à croire stupidement qu’elle lui demandait ce service payant uniquement pour avoir des relations intimes avec tous ces jeunes hommes. Elle avait du mal à croire qu’un homme aussi stupide existait. Mais elle se dit quand même qu’il n’ouvrirait pas la bouche de sitôt si la police n’arrivait pas à remonter jusqu’à lui. Elle s’occuperait de son cas plus tard car pour le moment Ryan était peut être impatient de savoir ce qu’elle lui réservait. Tandis qu’il la regardait, elle repensait à l’humiliation qu’il lui avait infligée. Et pourtant elle ne demandait rien d’autre qu’on la laisse en paix. Elle se rappelait les rires sur son passage, les doigts l’indexant, et les gens s’éloignant à son approche comme si elle avait la peste. Tout doucement elle fit glisser la lame de son couteau sur son torse. Elle voulait qu’il la sente de la même manière qu’elle avait senti son intimité violée. Elle appuya un peu plus sur le manche du couteau jusqu’à ce qu’il lâche un cri strident qui résonna dans la salle. Cela voulait dire que les effets de la morphine se dissipaient. Elle ne s’inquiétait pas du fait qu’il put ameuter des gens. Elle avait volontairement attendu les congés de Noel pour mettre en œuvre son plan. Elle sentait qu’il souffrait et pensait qu’elle y aurait ressenti un certain plaisir, mais ce n’était pas le cas. Elle attendait qu’il la supplie de le libérer comme l’avaient fait les trois autres, mais aucun autre son ne traversa ses lèvres. Et elle s’en inquiétait...

Son sang coulait du haut de son torse ou partait l’incision jusqu’au plancher juste en dessous de lui. Elle lui avait collé les fesses au bureau des professeurs et chaque tentative de s’en détacher avait résulté en une douleur qu’il s’efforçait de maitriser. Ses pieds étaient libres, tout comme ce qui restaient de ses mains. Pourtant il lui était impossible de bouger. Il était fix
é à ce bureau lui-même fixé au sol et ressemblant à un autel de sacrifice. Il avait décidé de ne pas lui donner la satisfaction d’implorer sa clémence. Plusieurs fois déjà il s’était excusé, avait demandé pardon en la trouvant sur le seuil de sa maison. Mais aucun mot n’était jamais sorti de sa bouche. On eut dit qu’elle ne le voyait même pas quand en larmes il disait regretter son acte. Il s’en voulait déjà d’avoir crié lorsqu’elle lui a enfoncé la lame de couteau. Peut-être qu’il méritait ça, peut-être pas. Mais dans tous les cas, il voulait être aussi digne que l’on peut l’être lorsqu’on est nu comme un vers dans un amphithéâtre vide avec pour seul autre occupant une belle et jeune femme. Une belle et jeune femme qui s’apprête à commettre un meurtre. Une belle et jeune femme dont le cœur hurle vengeance. Une belle et jeune femme du nom de Sandy qui commence à se déshabiller sous le regard ébahi de sa victime…

- Voilà ce que tu désirais tant voir il y a trois ans. Es-tu satisfait ?

vendredi 27 novembre 2015

Douceurs du bercail: Le bonheur est-il chez les autres?


L’immigration des Africains vers les pays occidentaux est malheureusement un sujet qui ne finira pas de délier les langues de sitôt. Pourquoi cherchons-nous l’eldorado loin de nos terres ? Chaque personne vous donnera peut-être une raison différente mais au final pour la plupart, l’herbe est plus verte ailleurs. Nonobstant les sacrifices à fournir pour arriver à bon port, l’angoisse lors des contrôles, les conditions de vie précaires des sans-papiers et enfin la honte et l’honneur bafoué en cas d’échec, ils sont nombreux à vouloir tenter leur chance coûte que coûte. C’est d’ailleurs le thème de l’échec qu’Aminata Sow Fall traite dans Douceurs du bercail

Asta Diop comme d’autres Africains s’est retrouvée dans les caves de l’aéroport en attendant d’être rapatriée au Sénégal. Officiellement appelé « le dépôt », par ses occupants « l’escale », ce cachot représente la fin d’un rêve pour certains tandis que d’autres sont tout de même prêts à retenter l’expérience… Pourtant contrairement à la plupart des personnes présentes dans ce cachot, Asta a ses documents en règles. Asta ne rêve pas de rester en Europe et n’y est pas venue pour réaliser des rêves. Bien au contraire, elle fait partie de ceux qui incitent la jeunesse africaine à rester sur le continent pour y bâtir son bonheur. Pourtant aux yeux de ceux qui l’ont conduise au dépôt, Asta est comme tous les autres. Ils ne veulent pas de ces Africains qui osent espérer de meilleures conditions de vie en venant en occident. Ils ne veulent pas d’eux et le leur font clairement savoir, allant jusqu’à les humilier et à les traiter comme des bêtes de somme. 




Si l’auteure dénonce le comportement des occidentaux face aux immigr
és, elle n’y va pas de main morte non plus sur les défauts de nos sociétés africaines. L’histoire de l’un des personnages m’a principalement affectée. L’expérience malheureuse de Yakham montre à quel point le népotisme dans nos pays affecte de brillants élèves lorsque les bourses d’études sont affectées non selon le mérite mais en fonction des affiliations. Les critiques qu’elle fait du Sénégal sont également valables pour mon pays la Cote d’Ivoire. Le manque de professionnalisme, l’absentéisme et le favoritisme sont flagrants dans nos administrations. Que faut-il faire pour changer les choses ? Comment faut-il faire pour que nous nous sentions assez bien chez nous pour ne pas risquer nos vies vers un paradis lointain ? Pour Asta et certains de ses compagnons du dépôt, la solution a été de retourner à la terre. Comme ils le disent eux même, « la terre ne ment pas », elle récompense toujours selon l’intention et les efforts. 

J’ai aimé ce livre, peut-être moins que L’appel des arènes et La grève des Bàttu, mais je le recommande vivement car l’écrivaine comme à son habitude nous force à nous remettre en question et à trouver des remèdes aux maux de nos sociétés.

jeudi 26 novembre 2015

Sandy la catastrophe...


Tel un somnambule il arpentait les rues d’Atlanta à la recherche de l’on ne savait quoi. Il disait à qui voulait bien l’écouter qu’il regrettait son acte mais justement personne ne voulait l’écouter…en tout cas pas la personne qu’il aurait souhaité voir lui pardonner. Il était jeune et à 17 ans on est insouciant. Il ne voulait pas la blesser, bien sûr que non. Qui aurait voulu faire du mal à une « fille » aussi belle, innocente, et gentille comme elle ? Seulement il n’avait pas de bons amis, il trainait avec ceux que l’on qualifiait de voyous. Ils étaient adolescents et à 17 ans on n’ignore…non on n’oublie parfois que certains actes sont irréparables. Elle l’avait supplié de ne pas le faire, d’avoir pitié, et il avait eu pitié, seulement pas assez pour arrêter ses conneries. Ses amis le regardaient faire, cachés derrière ce maudit buisson ils attendaient de voir s’il finirait par se défiler ou s’il irait jusqu’au bout afin de gagner son pari. Ils étaient quatre, tous aussi cons les uns que les autres, ignorant encore que tout acte a une conséquence et que bien souvent il faut payer le prix de ses erreurs… 

Depuis quelque temps la police d’Atlanta était débordée, les étudiants ne sortaient plus que pour aller en cours. On aurait dit qu’un ouragan s’était abattu sur la ville et que les habitants avaient encore du mal à s’en remettre. Elle s’appelait Sandy comme la catastrophe qui s’était abattue sur New York. Seulement la Sandy d’Atlanta était une jeune fille de 20 ans à qui la vie n’avait pas fait de cadeau. En quittant son Afrique Natale pour le pays de l’oncle Sam, elle avait espéré une vie nouvelle car on lui avait dit que chez ce vieil oncle Sam on ne jugeait pas les autres. On lui avait dit qu’à Atlanta personne ne connaitrait son passé et qu’elle pourrait vivre comme bon lui semblait. Seulement on lui avait menti et à présent ils devaient payer. Il n’y avait plus de fête organisée sur le campus. Même les sonorités les plus branchées avaient mis des points de suspensions à leurs différentes fiestas qui en faisaient baver plus d’un sur le campus. Elle était là, Sandy, trônant en maitresse sur le campus et attendant tapie dans l’ombre que sa prochaine victime passe…

Les journalistes les plus téméraires avaient du mal à décrire les scènes d’horreur découvertes par la police la semaine précédente. La première victime avait été retrouvée à l’entrée de la résidence universitaire « Patton Hall ». Il s’agissait d’un jeune homme qui avait été sauvagement émasculé, les testicules cousus à la place des tétons et le troisième membre enfoncé dans la bouche. La deuxième victime était un étudiant du même âge retrouvé dans les mêmes conditions mais devant la résidence « Piedmont North ». Jamais pareille atrocité n’avait été commise dans la ville d’Atlanta et la police bien qu’ayant une suspecte n’avait pas assez de preuves pour l’arrêter. Les habitants avaient encore du mal à se remettre des évènements lorsque l’on retrouva un troisième corps. Nathan lui portait une perruque, un rouge à lèvres et on aurait dit que l’assassin avait pris tout son temps pour le martyriser. Des incisions parfaites avaient été opérées sur ses gonades et son scrotum avait été dépouillé de ses habitants…

Illustration par Tatou Dembele

Elle était là, assise sur la vieille chaise à bascule et unique meuble de ce salon devenu subitement trop grand. Elle repensait à tout ce qui s’était passé depuis sa naissance. Elle n’avait plus rien à perdre quand on lui avait déjà tout arraché. Elle en avait marre de devoir accepter l’humeur lunatique du destin. Elle en avait marre qu’on lui dise que « tout ce que Dieu fait est bon ». Finalement elle en avait marre de pardonner alors qu’à elle on avait refusé le droit d’être prise en pitié. Elle voulait qu’ils paient peu importe ce que cela lui couterait. D’ailleurs que pouvait-elle encore perdre quand ils lui avaient brutalement volé ce qu’elle avait de plus cher ? Elle n’avait plus la force de courir à chaque fois que cela se produisait. Elle avait ruminé sa vengeance, changé de nom, de couleur de cheveux et cette fois-ci elle allait leur donner une leçon, la leçon ultime…

Assise sur le seuil de sa maison elle regardait passer l’unique rescapé de sa vengeance qui risquait bientôt de rejoindre ses défunts amis. On disait d’elle qu’elle était folle, qu’elle était une psychopathe mais seulement personne ne pouvait prouver qu’elle était la responsable de la folie meurtrière qui s’était abattue sur la ville. En quittant son Afrique natale elle pensait fuir ces histoires d’incompréhension, d’intolérance. Nenni, les américains n’étaient pas aussi ouverts qu’on le prétendait et surtout pas avec ce qu’ils ne connaissaient pas. Toute sa vie elle avait dû faire face au regard des gens dans son village puis plus tard dans la ville parce qu’un imbécile ayant découvert son secret avait eu la langue trop pendue. Elle avait pardonné parce qu’elle pensait ne pas avoir le choix. Elle avait fui, travaillé d’arrache-pied pour obtenir cette bourse pour les Etats Unis mais voilà que ces quatre jeunes gens avaient réveillé cette blessure encore trop fraiche.

Il repensait à ce jour-là; déjà trois ans. Il se rappela des encouragements de ses amis tapis derrière ce maudit buisson. Ils lui avaient dit qu’il n’avait pas besoin de la violer mais qu’il devait juste lui faire peur. Il devait juste la violenter et la dénuder. C’était la seule manière pour lui d’être un membre à part de la bande. Il les avait écoutés et il l’avait fait; seulement il ne s’attendait pas à ce qu’elle soit ainsi constituée. Il n’avait jamais vu un être humain avec deux sexes et ses amis non plus n’en avait jamais vu. Ces derniers animés par leur stupidité sans pareille ou une nouvelle passion de scientifiques étaient sortis de leur cachette, l’avaient prise en photo avaient propagé sur le campus des images de Sandy le monstre mi-femme-mi-homme.

Trois années étaient passées mais elle n’avait rien oublié. Ils avaient volé son secret, révélé une identité qu’elle avait encore du mal à accepter. Ils avaient balayé du revers de la main son droit à la vie privée alors ils devaient payer. Les trois spectateurs avaient déjà leur ticket pour le grand voyage. Il ne restait plus que lui, et elle semblait vouloir faire durer son supplice. Il en avait perdu l’appétit et avait même commencé à délirer. Elle refusait de l’écouter mais il voyait bien que son tour arrivait et que bientôt il paierait pour avoir révélé contre son gré qu’elle était atteinte d’un pseudohermaphrodisme féminin. Les fêtes de noël approchaient et elle lui réservait un cadeau spécial…

Tel un somnambule il arpentait les rues d’Atlanta à la recherche de l’on ne savait quoi. Il disait à qui voulait bien l’écouter qu’il regrettait son acte mais justement personne ne voulait l’écouter…en tout cas pas la personne qu’il aurait souhaité voir lui pardonner….

mardi 24 novembre 2015

Orgueil et préjugés: Je suis amoureuse !

Une scène du film

Une histoire d’amour anglaise du 19e siècle a le pouvoir de faire rêver une jeune ivoirienne de 21 ans au 21e siècle. Du moins c’est ce que j’ai conclu après ma lecture de Pride and Prejudice (Orgueil et préjugés) écrit par Jane Austen. J’avais déjà regardé le film quelques mois auparavant mais ma connaissance à l’avance des évènements n’a en rien affecté mon plaisir en tournant chaque nouvelle page.

Tout commence par la venue de Mr. Bingley dans la contrée où séjourne la famille Bennett. Bingley est un jeune homme riche et de ce fait, il se doit de désirer prendre une épouse; du moins selon le sens commun de la région. Son arrivée ainsi que celle de son meilleur ami Mr. Fitzwilliam Darcy va provoquer des changements dans la vie des Bennett...



Dame Bennett, on a l’impression, ne vit que pour un seul objectif : caser ses 5 filles et cela de préférence avant celles des voisines et auprès de jeunes hommes nantis. Jane, Elizabeth, Mary, Catherine et Lydia Bennett ont des caractères différents. Jane l’ainée est belle, douce, réservée et toujours prête à accorder le bénéfice du doute aux gens. Elle tombe instantanément amoureuse de Bingley et celui-ci n’a d’yeux que pour elle. Cela ne suffit cependant pas à une consolidation aisée de leur amour... Elizabeth la seconde fille des Bennett, favorite du père et personnage principal du livre, est beaucoup moins clémente que son ainée. Elle n’apprécie pas les gens hautains et le leur fait clairement savoir. Son intelligence, son sarcasme, son franc-parler et ses yeux sombres séduisent. Vous aurez quelques fois envie de l’applaudir après chacune de ses répliques à tous les personnages du livre qui se prennent pour le nombril du monde... Si Elizabeth et Jane sont proches l’une de l’autre et que Catherine et Lydia sont toujours complices dans leur insouciance démesurée, Mary est quant à elle la solitaire de la famille. Son unique objectif est de démontrer aux autres à quel point elle est douée et cultivée. Même quand il vaudrait mieux parfois qu’elle fasse preuve d’humilité… Le père Bennett quant à lui est un homme calme, doté d’une très grande maitrise de soi étant donné qu’il est marié depuis plusieurs années à une femme hystérique avide de cancans. Malheureusement, son désir de ne pas se mêler aux folies de son épouse et de ses filles le rend parfois passif dans des situations où il aurait dû faire preuve de rigueur… 



J’aurais voulu vous parler de tous les personnages du livre tant ils ont chacun un caractère particulier. Mr. Collins - le lèche-botte ennuyeux à mourir (et je pèse mes mots) -, Lady Catherine de Bourgh - la dame mieux que tout le monde et qui sait tout -, Miss Bingley – la prétendante et griotte attitrée d’un homme qui ne la voit pas –, Mr. Wickham – l’homme dont l’apparence et l’amabilité sont trompeuses-… Mais tous ces personnages bien qu’apportant du pep au livre, ne m’intéressent pas autant que mon beau et tendre Fitzwilliam Darcy...

Je suis tombée amoureuse de Mr. Darcy et franchement si vous connaissez quelqu’un comme lui je vous serai gré de me le présenter. Darcy est grand, beau, riche, cultivé, réservé et généreux. Évidemment c’est bien trop féerique pour être vrai. La réserve dont fait preuve le sieur vis-à-vis des autres est telle qu’il passe pour un orgueilleux et vaniteux qui ne respecte pas les gens d’une classe inférieure à la sienne (il est vraiment orgueilleux, mais l’amour me rend tolérante :( ). Derrière l'air hautain qu’il affiche, se trouve un homme dont la fortune et l’orgueil ne peuvent préserver de la flèche de cupidon…



Orgueil et préjugés est un roman d’amour et de mœurs où vous ne lirez rien d’obscène. Jane Austen fait preuve de pudeur et même lorsqu’elle évoque le déshonneur c’est toujours avec de la retenue dans le verbe. Amour, orgueil et préjugés vous l’aurez deviné sont les thèmes du livre. L’œuvre est une satire de la société de l’auteure. Matérialisme, malhonnêteté, médisance, insouciance, vanité, sont des maux qui ne datent donc pas d’hier… Si vous avez envie de connaitre un pan de la société anglaise du 19e siècle, de vivre une histoire d’amour, ou tout simplement de passer un bon moment, je vous le recommande vivement !



lundi 9 novembre 2015

La vie devant soi ou une histoire de pute


Je n’ai jamais autant vu ni utilisé le mot « pute » en si peu de jours qu’en parcourant La vie devant soi. Il revient tellement dans ce livre qu’on n’y voit presque plus la vulgarité qu’il dégage… Après avoir lu Allah n’est pas obligé, je reviens avec une autre histoire racontée par un gamin sous la plume d’un adulte. La vie devant soi est l’histoire d’un enfant de 10 ans qui n’a pas vraiment dix ans. C’est l’histoire d’un fils de pute à une époque où les moyens de contraceptions et les curetages étaient encore inconnus. Aussi, lorsque celles qui pratiquent le plus vieux métier au monde se retrouvaient enceintes d’on ne savait trop qui à cause de « la loi des grands nombres », elles accouchaient comme toutes les autres femmes. Ensuite pour éviter que leurs bambins ne se retrouvent à l’assistance publique, elles les confiaient à des anciennes prostituées qui une fois à la retraite devenaient des nounous d’enfants de prostituées en service. Ce roman pas comme les autres raconte donc une histoire d’amour entre Mohamed, jeune arabe, fils de pute et Madame Rosa vieille juive, et ancienne pute.

« Je leur ai expliqué que Madame Rosa était une ancienne pute qui était revenue comme déportée dans les foyers juifs en Allemagne et qui avait ouvert un clandé pour enfants de putes qu'on peut faire chanter avec la déchéance paternelle pour prostitution illicite et qui sont obligées de planquer leurs mômes car il y a des voisins qui sont des salauds et peuvent toujours vous dénoncer à l'Assistance publique. »

Vous en avez déjà marre de voir des mots commençant par p ? Il ne faut pourtant pas s’y arrêter. Ce livre va bien au-delà d’une histoire de cul. C’est le récit d’un gamin sans parents dans un monde où l’on vous juge par rapport à vos origines. Madame Rosa aime beaucoup Momo et ce dernier le lui rend bien. Pourtant il ressent toujours un manque qui le pousse parfois à surgir devant des voitures en circulation pour que les conducteurs apeurés sachent qu’il existe, que l’on s’intéresse à lui… Ce n’est surement pas un sentiment dont il a le monopole. Combien de fois voulons nous aussi que le monde nous remarque ? Que les gens s’intéressent à nous ? Il suffit de regarder les réseaux sociaux pour se rendre compte que Momo n’est pas le seul dans ce cas.


L’auteur parle de la prostitution, des clichés racistes, des lois de la nature, de la vie, de la mort mais surtout de l’amour… Il nous fait comprendre que tout le monde a droit à ce fameux sentiment et que l’on ne saurait vivre sans. Même quand on est vieille, grosse, laide et que l’on a autrefois utilisé son corps comme marchandise, il peut y avoir un jeune garçon qui nous aime et est prêt à tout pour éviter qu’on ne finisse ses jours dans un hôpital qui refuse de vous laisser partir…

Dans La vie devant soi, Momo a une conception particulière de la vie et du bonheur. Ce bonheur qui apparait comme un phénomène tellement rare qu’il faut en profiter au maximum quand il daigne pointer le bout de son nez.
« J'étais tellement heureux que je voulais mourir parce que le bonheur il faut le saisir pendant qu'il est là. »

De la bouche et des pensées de ce gamin, ressortent des vérités sur lesquelles on ne prend pas toujours la peine de s’attarder. Ce livre m’a fait me poser des questions sur l’euthanasie et le suicide. J’ai toujours été contre l’idée de se donner la mort soi-même plutôt que d’attendre le décret divin. Mais lorsqu’une personne qui a vécu et souffert durant toute sa vie, se retrouve malade à un âge avancé sans possibilité de guérison, à quoi cela sert-il de la maintenir en vie à l’aide d’appareils qui ne lui permettront que de passer de l’état d’être humain à celui de légume ?

« Mais Madame Rosa se gâtait de plus en plus et je ne peux pas vous dire combien c'est injuste quand on est en vie uniquement parce qu'on souffre. Son organisme ne valait plus rien et quand ce n'était pas une chose, c'était l'autre. C'est toujours le vieux sans défense qu'on attaque, c'est plus facile et Madame Rosa était victime de cette criminalité. »

Pour reprendre les mots de Gauz qui m’a fait connaitre le livre et l’auteur, « Émile Ajar est le seul être humain sur la planète à avoir eu 2 prix Goncourt. Le premier pour Les racines du ciel et le second pour La vie devant soi. Il est vieux quand il écrit La vie devant soi mais il écrit comme un gamin étrange. Un fils de pute de 10 ans qui n’est pas parti à l’école mais qui est brillant. Momo a grandi dans un quartier Cosmopolite avec des nègres, des arabes, des juifs, enfin tous les exclus de la société. Et déjà il pose des questions de l’identité qui se posent aujourd’hui en France mais il se les pose d’une manière incroyable… »

Envie d’en savoir plus ? Eh bien lire délivre ! :)




samedi 24 octobre 2015

Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes ses choses ici-bas




J’avais entendu tellement d’éloges sur ce roman que je me suis finalement décidée à le lire. Tout le monde doit et peut lire ce chef d’œuvre puisqu'il est écrit dans un registre familier. Mieux, pour faciliter la compréhension à tous et ainsi élargir son audience, le narrateur explique certains mots et expressions à l’aide de ses quatre dictionnaires.

« Pour raconter ma vie de merde, de bordel de vie dans un parler approximatif, un français passable, pour ne pas mélanger les pédales dans les gros mots, je possède quatre dictionnaires. Primo le dictionnaire Larousse et le Petit Robert, secundo l’inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire et tertio le dictionnaire Harrap’s. Ces dictionnaires me servent à chercher les gros mots, à vérifier les gros mots et surtout à les expliquer. Il faut expliquer parce que mon blablabla est à lire par toute sorte de gens : des toubabs (toubab signifie blanc) colons, des noirs indigènes sauvages d’Afrique et des francophones de tout gabarit (gabarit signifie genre). Le Larousse et le Petit Robert me permettent de chercher, de vérifier et d’expliquer les gros mots du français de France aux noirs nègres indigènes d’Afrique. L’Inventaire des particularités lexicales du français d’Afrique explique les gros mots africains aux toubabs français de France. Le dictionnaire Harrap’s explique les gros mots pidgin à tout francophone qui ne comprend rien de rien au pidgin. »

Dix ou douze ans ? L’âge du personnage principal n’est surement pas ce qui est le plus important, et encore moins son niveau d’étude. Dans ce récit simple, accentué de jurons lancés à tout-va, nous sommes introduits dans un monde de violence ; une violence tellement absurde qu’on la croirait inventée. Et pourtant…



Birahima n’a pas sa langue dans la poche et ça dès le début de l’histoire on le remarque. C’est « un enfant insolent, sans peur ni reproche » mais surtout c’est un enfant-soldat. Orphelin de père et de mère, Birahima voit son éducation confiée à sa tante Mahan. Seulement voilà, un incident conduit cette dernière à s’enfuir au Liberia en laissant son neveu dans son village Togobala. Appâté par des histories mirobolantes sur les enfants soldats du Liberia, Birahima s’embarque dans un voyage périlleux aux côtés de Yacouba, un marabout multiplicateur de billets de banque. Dans son parcours de small-soldier, Birahima découvre, vit, et nous raconte par la même occasion les différentes guerres tribales au Liberia et en Sierra Leone.

« Quand on dit qu’il y a guerre tribale dans un pays, ça signifie que des bandits de grand chemin se sont partagés le pays. Ils se sont partagés la richesse ; ils se sont partagés le territoire ; ils se sont partagés les hommes. Ils se sont partagés tout et tout et le monde entier les laisse faire. Tout le monde les laisse tuer librement les innocents, les enfants et les femmes. Et ce n’est pas tout ! Le plus marrant, chacun défend avec l’énergie du désespoir son gain et, en même temps, chacun veut agrandir son domaine. »




C’est un véritable cours d’histoire que Kourouma nous administre avec Allah n’est pas obligé. J’ai beaucoup appris sur les crises chez les pays voisins, ainsi que le rôle des presqu’inutiles communautés internationale et régionale. On se rend compte dans cette histoire qu’il en faut peut pour que des vies soient gâchées. La soif de pouvoir, la cupidité…pour un trône on sacrifie des milliers de vies humaines en toute impunité. Mais malgré la gravité de la situation, il y a toujours ces anecdotes, ces expressions qui vous font sourire…

Kourouma est sans nul doute un maitre de la parole. Avec la version électronique, je pouvais suivre les aventures de Birahima partout - tant que mon ordinateur ou mon téléphone me le permettait-. Résultat, en 4 jours j’ai traversé la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone en faisant quelques haltes en C
ôte d’Ivoire. À travers l’histoire de Birahima, c’est l’attitude et la responsabilité de tout le monde qui est remise en question. Bien que les faits se déroulent en Afrique occidentale, cela rappelle que chaque jour des innocents sont tués dans le monde sous le silence coupable de la «communauté internationale». L’Afrique pullule et a de tout temps été infestée par les dictateurs, mais à quand le changement ? Kourouma n’est malheureusement plus de ce monde mais les crises qui ont secoué le continent dernièrement auraient surement fait tressaillir sa plume. 

Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes ses choses ici-bas. Et je ne suis pas obligée de vous raconter tout ce qui se passe dans ce livre :p Je vous invite juste à vous dépêcher de le lire !

mercredi 2 septembre 2015

La grève des Bàttu, l'incontournable d'Aminata Sow Fall


Il y a certains livres que tout le monde – les Africains en particulier – doivent lire. La grève des Bàttu fait partie de ces œuvres que l’on qualifie de classique dans la littérature Africaine. Ce n’est pas fortuitement qu’Aminata Sow Fall a reçu le Grand prix littéraire d’Afrique noire pour ce roman. 


On dit souvent que la main qui demande est toujours en bas. Que se passe-t-il donc lorsque celui qui donne devient le quémandeur ? C’est ce que nous propose Aminata Sow Fall avec cette grève imaginée – et inattendue – des mendiants. Dans la « Grande Ville » d’un pays africain, ces derniers sont pourchassés, brutalisés, afin qu’ils quittent les trottoirs et autres lieux où ils gagnent leur pitance. La raison ? Il faut assainir la ville pour favoriser le tourisme. Les autorités ne veulent plus voir ces personnes qui, une petite calebasse (bàttu) à la main, assaillent les « honnêtes » citoyens pour survivre. Las de se voir traiter comme des bêtes, ces mendiants décident de se regrouper dans la maison de Salla Niang, où désormais ils acceptent les aumônes selon leurs propres règles. Mour Ndiaye, directeur général du service de la Salubrité Publique, après avoir vivement encouragé son subalterne Kéba Dabo dans cette guerre aux porteurs de bàttu, se retrouve face à une situation difficile. Pour obtenir ce qu’il désire le plus au monde, il a besoin de ces «ombres d’hommes» et de leurs calebasses…



Dans La grève des Bàttu, Aminata Sow Fall nous met en garde contre la déshumanisation. L’auteure pointe du doigt l’ambition malsaine de certains individus qui, pour gravir les échelons sont prêts à tout. Avec Mour Ndiaye, on découvre de nombreux défauts de l’homme, noir en particulier. Ndiaye représente ces chefs qui font faire tout le travail par les autres et se contentent de ramasser les lauriers. Des hommes qui en atteignant les sommets décident qu’il faut agrandir leur harem pour montrer des signes de prospérité; et ce malgré les sacrifices consentis par la première épouse. La quête du pouvoir dans laquelle se lance le personnage principal lui apprendra et à nous aussi par la même occasion que personne n’est trop petit ou trop pauvre pour être respecté.


La mendicité existe partout en Afrique et même ailleurs sous différentes formes. Toutefois, les Africains pourtant réputés pour leur sens du partage, deviennent de plus en plus insensibles face à la misère de leurs semblables. J’avoue avoir déjà eu de nombreuses discussions avec des amis et des proches pour justifier ce fait. Nous n’arrivions pas à admettre qu’une personne bien portante, sans aucune infirmité, décide de tendre la main plutôt que de travailler de ses dix doigts. Et pourtant… On pourrait énoncer toutes sortes de raisons qui pousse des gens à quémander mais chacun a surement sa propre histoire. La mendicité n’étant pas à encourager, il nous faut trouver une solution pour permettre aux démunis de gagner leur pain quotidien autrement qu’en quémandant ou en volant. Cependant, leur condition de mendiants n’est en aucun cas une raison suffisante pour que des personnes soient traitées comme des sous hommes. D’ailleurs pour les croyants de nombreuses religions, la charité ne sous déleste en rien, bien au contraire ! En donnant de nos biens, nous apprenons à nous désintéresser du matériel et à accumuler des bénédictions et des bonnes œuvres pour l’au-delà...

Tout comme L’appel des arènes, La grève des Bàttu est écrit simplement et agrémenté de quelques mots et expressions wolofs. Ce roman fait partie des incontournables de la littérature africaine et je vous le recommande vivement !

mardi 25 août 2015

Regards croisés

Illustration par Tatou Dembele

Ça devait faire plus de cinq minutes déjà que j’observais défiler la file de gens sans vraiment les voir. Eux aussi d’ailleurs semblaient ne pas m’apercevoir au milieu des autres personnes assises. Je me demandais ce que je faisais là. J’avais très longuement réfléchi et envisagé de rester à la maison. Plus d’une dizaine de fois j’avais décidé de ne pas franchir le seuil de ma chambre mais finalement j’étais là. Personne ne me dévisageait et moi de mon côté je préférais les ignorer. Faire comme si ce n’était pas pour moi en partie qu’ils étaient là. De toutes les façons, Je ne connaissais pas le quart des personnes présentes. Alors J’attendais patiemment, me contentant d’être assise, les yeux hagards et me disant que tout ceci n’était qu’un cauchemar. De temps à autre, une voix s’élevait au-dessus des bruits de pas, et alors je sortais quelque peu de mes pensées et observais ce qui se passait. C’est alors que je la vis. J’eus l’impression que c’était la première personne à avoir remarqué ma présence. Dans son regard, j’apercevais quelque chose que j’avais du mal à déchiffrer. C’était comme si cette inconnue m’avait comprise. Quel âge avait-elle ? Elle devait être plus âgée que moi mais surement de moins de 5 ans. Dans ses yeux, j’ai cru déceler de la peine. Mais ce que je ne comprenais pas c’était pourquoi ces yeux semblaient me dire : Désolée. Pourquoi est-ce que cette inconnue que je n’avais jamais rencontrée auparavant s’excusait. 

En pénétrant dans la salle, je ne m’attendais pas du tout à être émotive. J’y étais là uniquement pour faire bonne figure. À vrai dire, je n’avais pas longtemps réfléchi avant de décider d’y aller. Cela s’est fait comme ça, sur le coup. C’est seulement une fois installée, que je me suis rendue compte de l’endroit où je me trouvais. Les sièges, les crucifix, les images, aucun doute, cette salle faisait office d’église. S’il y avait une chose que je détestais à part les voyages en avion, c’était bien les établissements religieux. Mosquées, églises, temples… Je ne comprenais pas que des gens recherchent Dieu entre quatre murs alors qu’eux même martèlent qu’il est partout. Quoi qu’il en soit, il était trop tard pour revenir sur mes pas alors je pris place à l’instar des autres « fidèles. » Fidèles ils l’étaient, mais pas tous à la cause du Christ. Lorsque le célébrant nous invita à nous mettre en rang, je voulus au préalable rester assise. Cette histoire de se prosterner devant l’effigie d’une personne ne m’enthousiasmait pas du tout. Et finalement je décidai que je passerais sans m’arrêter devant cette image et que cela ne constituait en aucun cas un manque de respect. C’est d’un air désinvolte que j’avais pénétré dans la pièce quelques minutes auparavant. Pourtant une fois dans la file, je me retrouvai embêtée, ne sachant plus quelle attitude adopter. La consigne avait été donnée. « Ne saluer personne. Avancez juste. » Aucun visage ne m’était familier dans le groupe de personnes installées et à qui nous devions juste faire signe de révérence ou marmonner quelque chose. J’ignorais ce que faisaient les autres devant moi dans la file mais moi, j’avais l’intention de chuchoter quelque chose et de passer mon chemin le plus rapidement possible. Pourtant son regard me captiva. Tout d’un coup je pris conscience de ce qui m’entourait. Ce n’était pas qu’une simple église, ce n’était pas qu’une simple messe à laquelle je devais assister. Elle devait avoir quelques années de moins que moi, et je me demandais pourquoi est-ce qu’elle se retrouvait dans une situation pareille. J’avais envie de la serrer dans mes bras et de lui dire que tout irait bien même si toutes les deux, nous savions que c’était un mensonge. J’eus terriblement envie qu’elle me fasse un signe, qu’elle me montre qu’elle aussi m’avait vue, que quelque chose s’était passé. Mais elle se contenta de me regarder sans me voir, de la même manière qu’elle observait toutes ces autres personnes venues présenter leurs condoléances. 

Illustration par Tatou Dembele

Comme si cela pouvait changer quelque chose à ma peine. Comme si tous ces « mes condoléances » lâchés du bout des lèvres ramèneraient mon père. J’avais envie d’une seule chose dès que j’avais mis les pieds dans l’église, c’était de retourner à la maison. Je voulais m’emmitoufler sous ma couverture et oublier qu’il s’en était allé. Je n’avais nullement envie de voir des visages étrangers me dire à quel point ils regrettaient le départ de mon géniteur. Peu importe leurs bonnes intentions, je ne voulais pas de leur compassion. Seul le regard de cette jeune fille me fit d’une certaine manière apprécier le moment. Je ne savais pas pourquoi elle se sentait si peinée alors qu’elle ne l’avait pas tué; mais cette seconde de regards échangés avaient été le seul moment où j’avais senti que quelqu’un me voyait enfin. Peut-être qu’elle aussi était passée par là. Peut-être était-elle également orpheline.

Non je ne comprenais pas ce qu’elle ressentait. Comment aurais-je pu y prétendre ? Dans ses yeux, dans ce regard égaré, j’ai vu une jeune fille qui découvrait à peine l’adolescence et qui venait de perdre un guide dans ce monde de fous. J’eus peur de perdre le mien. De me lever un matin et d’apprendre qu’il était parti pour toujours. Elle était trop jeune pour traverser cela, trop jeune pour perdre son père. Et dans sa posture, dans sa tenue qu’elle avait surement négligemment choisie, je sentais qu’elle aussi se demandait ce qu’elle faisait là…