mardi 12 avril 2016

L’inconnue...


Elle le regarde. Il sourit. En fait ce n’est pas un sourire. Ça ressemble plus à une sorte de rictus qui déforme ses lèvres. C’est le même que sur toutes ses photos. Au début, elle a cru qu’elles avaient été prises au mauvais moment. Elle comprend maintenant qu’il ne sait pas sourire. Elle se demande s’il a eu une maladie qui l’en empêche. Ca ne doit pas être si difficile que ça. Elle, sourit tout le temps. Surtout grâce à lui. Alors comment se fait-il que lui-même ne sourit jamais ?

Lui se demande pourquoi est-ce qu’elle le fixe autant. Il est presque sûr de ne l’avoir jamais rencontrée. Contrairement à ce que son médecin pense, il se souvient de tous les visages. Chaque mot, chaque sourire qu’on lui offre. C’est bien la seule raison pour laquelle il continue de faire son travail. Pour les sourires, les larmes, les mots. Il est bien content que ses maux servent à quelque chose. Plusieurs fois il a voulu arrêter mais c’est pour des gens comme elle qu’il continue d’écrire.

- Vous ne souriez jamais ?

Sa question le surprend. En 10 ans de carrière, c’est bien la première fois qu’une lectrice veut savoir quelque chose qui n’a rien à voir avec ses personnages. Il hésite. Il ne sait pas s’il doit lui donner l’une de ses réponses préparées à l’ avance. Oh, mais il n’en a jamais préparé pour cette question. Pourquoi est-ce qu’il ne sourit pas ? Lui-même ne le sait pas. Il y a très longtemps qu’il a oublié ce qu’est un sourire. Tout comme les larmes. Il a du mal à ressentir certaines émotions depuis quelques années. En vrai il fait en sorte de les coucher sur papier, chaque fois qu’elles essaient de le happer. Alors doit-il lui dire cela ? Il en doute.

- Hum

Elle continue de le fixer en attendant qu’il rajoute quelque chose à son hum. Mais il semble ne pas vouloir en dire plus. Il est plus petit qu’elle ne l’imaginait. Ils sont tous deux assis mais elle sent bien qu’elle est plus grande que lui. Peut-être qu’il est intimidé. Mais ce n’est pas possible. C’est plutôt à elle de l’être. Il a la tête baissée et caresse son stylo. Elle se demande si elle doit reposer sa question. Avant qu’elle ne se décide à ouvrir la bouche il pose ses yeux sur elle.

- Pourquoi me regardez-vous avec autant d’insistance ?

Sa question la déroute. Elle plonge ses yeux dans les siens et s’y perd. Ils sont cachés derrière une grosse paire de lunettes. Mais elle a l’impression d’y lire une histoire qu’il n’a pas encore écrite. Elle déglutit, ramène une mèche rebelle derrière son oreille et sourit.

- Il parait qu’on est tous des poussières d’étoiles… Mais moi, je vois plus souvent la poussière que les étoiles. Alors je les cherche, systématiquement, obstinément, désespérément… dans les yeux, ceux qu’on dit être le miroir de l’âme.

Elle lâche les mots sans s’en rendre compte. Elle n’avait pas prévu de se dévoiler. Elle voulait juste le voir. Lui parler en vrai, briser l’écran. Elle se dit qu’elle n’aurait jamais dû le surprendre ainsi. Elle se lève. Il la regarde. Il la reconnait. Ou plutôt, il reconnait ses propres mots. Ceux qu’il a partagés avec une inconnue, un soir sur Facebook. C’était bien avant d’être célèbre. Bien avant que son compte disparaisse, et elle avec. Sans laisser de traces. Il l’avait cherchée en vain alors il avait écrit. Comment avait-il pu oublier son visage ? Oh c’est vrai qu’avant elle avait les cheveux courts. Et son teint était noir. Il la regarde se lever. Il se demande ce qui lui est arrivée. Mais il ne la retient pas. Et elle s’en va. Le suivant s’assoit et lui présente tout sourire, un livre à dédicacer.