« (…) Entre le marteau et l’enclume j’ai dû
aiguiser ma plume. Pardonne-moi de ne t’avoir rien dit, tu aurais sûrement pu
m’aider mais voilà je n’ai pas appris à me dévoiler à autre chose qu’à ce
carnet. Tu m’as toujours reproché ma solitude mais comment aurais-je pu être
sociable lorsque tout le monde autour de moi ne respirait qu’hypocrisie?
Ce journal tu n’aurais jamais pu le découvrir de mon vivant parce que je t’ai
fait croire que c’était mon cahier de maths. On le sait tous les deux combien tu
maudissais Pythagore, Thalès et leurs confrères d’avoir inventé des théorèmes et
des propriétés qui te semblaient être du chinois. Je me suis toujours assurée
que jamais tu ne saurais ce qui me hantais car je refusais moi-même d’y croire.
T’en parler reviendrais à te demander des explications et je n’étais pas prête
à l’accepter mais en te voyant hier à l’œuvre une énième fois, j’ai craqué. Te
rappelles-tu de nos moments passés sous la pluie ? Ces fois où profitant
de l’inattention de maman, nous batifolions dans la boue ? Je pense que
ces instants là malgré le méchant rhume qui suivait ont été les seuls beaux
souvenirs de ma vie. »
Je venais de lire le journal de Litsié ma meilleure
amie, ma jumelle et j’en tremblais encore. Ma sœur était morte par ma faute;
elle n’avait pas supporté la terrible vérité et plutôt que de l’affronter elle
avait préféré se donner la mort. Depuis combien d’années savait-elle mon
secret ? Je ne le saurai jamais car elle ne l’avait pas mentionné dans son
journal et elle n’était plus là pour répondre aux nombreuses questions qui se
bousculaient dans ma tête. Je me sentais coupable de ce qui lui était arrivé et
je n’avais qu’une seule envie, me donner la mort à mon tour. J’ai pensé à ma
mère qui avait perdu son mari et qui venait maintenant de perdre sa fille
unique et finalement je n’ai pas voulu lui infliger un troisième deuil.
C’était vrai que donner la mort était devenu une
routine pour moi mais cela ne m’avait ôté ni mon cœur, ni mon âme, et encore
moins mes émotions. C'étaient d'ailleurs ces émotions qui avaient fait de moi ce que j’étais
devenu. Si j’avais été condamné à cette nature de psychopathe, c’était juste
parce que je ne supportais plus de voir papa soulever la main sur ma mère. Elle
avait supporté pendant neuf mois mes combats de catch avec Litsié dans son
intérieur. Elle avait passé des nuits blanches à nous veiller, des années à
nous éduquer dans l’espoir qu’on devienne des gens bien. Malheureusement dès
8 ans, j’avais commencé à remarquer les bleus sur son corps, j’ai découvert que
derrière son sourire ma génitrice pleurait intérieurement. Lorsqu’il y avait de
l’orage dans l’air, chez nous papa semblait aussi déchaîné que la tempête et
sur ma mère les coups pleuvaient. Litsié et moi préférions dans ces moments là
nous amusez sous la pluie mais au fond chacun de nous espérait que cette pluie
cacherait ses larmes à l’autre.
A 15 ans je n’ai plus supporté de voir ma mère
crouler sous les coups sans broncher et lorsque papa leva la main sur ma sœur
jumelle, le vase déborda. Oui c’était mon père mais c’était un monstre alors je
l’ai tué sans le moindre remord. Lorsque j’ai abandonné son corps dans le
Bandama, je me suis sentis libéré à la fois de son poids dans ma brouette mais
aussi d’un poids dans mon cœur et ma vie. Par la suite je me suis trouvé une
vocation, celle d’éliminer tous ces pères et maris indignes qui osaient lever
la main sur leurs épouses et leurs enfants. Je ne savais pas ce qui m’avait
poussé sur cette voie mais jusqu’au suicide de ma sœur je n’avais jamais
regretté mes meurtres.
Litsié avait découvert que son frère jumeau que j’étais
était aussi un monstre comme tous ces bourreaux que je faisais disparaître.
J’avais fini par prendre plaisir à cette condition de pseudo héros que je
m’étais auto-attribué, c’était devenue ma subsistance.
Cela fait trois ans que ma sœur n’est plus, trois
ans que j’ai lu ce journal et que je n’ai plus jamais ôté la vie à quiconque.
Pourtant depuis quelques temps mes mains tremblent, je ne supporte plus de voir
Kouassi, notre ivrogne de voisin cogner sa femme. Je ne supporte plus de voir
sa fille se réfugier chez nous en larmes chaque fois que son père rentre du
cabaret. J’ai essayé de résister mais comme on le dit chasse le naturel, et il
reviendra au galop. Cette nuit c’est la bonne et ça va recommencer.
*Inspiré de la série Dexter
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