samedi 29 septembre 2012

Amour liquide



Lui, il était beau, très beau même; en fait il faisait penser à ces héros de feuilletons brésiliens que toutes les filles rêveraient d’avoir. Élancé  un teint noir capable de rendre jalouse une forêt entière d’ébènes, des yeux noisette ornés de cils tant recherchés par la gente féminine à travers toute sorte d’artifices; il aurait pu avoir sa photo à côté de la définition du mot beauté dans le dictionnaire. Son sourire était digne d’une publicité de dentifrice tant ses dents étaient d’un blanc éclatant; sa carrure de mannequin n’était pas non plus étrangère au charme qu’il exerçait sur le sexe opposé. Le seul inconvénient pour Didier était sa pauvreté.

Didier avait eu le malheur de naître dans une famille démunie, de père ouvrier et de mère ménagère. Avec cinq frères et sœurs, dans une bicoque à Mossikro, la vie n’est pas du tout facile. Le bac en poche, Didier n’a pas eu la chance de continuer les études malgré un cursus scolaire très brillant. Une maladie surement lancée par les sorciers du village l’a terrassé tout le long de l’année scolaire de terminale; il a pu décrocher son bac scientifique mais avec une mention passable qui ne lui assurait pas l’obtention d’une bourse d’étude pour l’étranger. La crise postélectorale avec son lot de désastres,  l’université a été fermée alors qu’il était en première année en faculté d’histoire géographie. 

Après de longs essais infructueux pour réussir à un concours ou avoir un petit boulot qui pourrait lui assurer son argent de poche, Didier a finalement décidé d’user de son charme. Plusieurs femmes d’âge mûr lui avait proposé du travail en échange de rapports entretenus mais, lui ne se voyait pas du tout sortir avec une femme qui pourrait le mettre au monde. Non, lui il avait une bien meilleure idée, et il lui fallait juste deux ou trois beaux ensembles, un peu d’argent pour le transport et une seule journée pour réaliser son plan « Fils de pauvre en détresse ».

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Elle était d’une beauté quelconque, rien d’extraordinaire qui devrait être détaillé. De taille, et  de forme moyennes, Elodie était la fille du ministre de l’urbanisme et son père cédait à tous ses caprices; du shopping à Paris jusqu’aux concerts à Londres, tout était à sa disposition. Elle venait de décrocher le bac et profitait à fond de ses vacances avant de partir continuer ses études à Georgia States University. Les glaces ont toujours représentées le péché mignon d’Elodie, et elle ne ratait aucune occasion d’en profiter avec sa meilleure amie. 

Nice Cream, glacier de tous les chocos d’Abidjan, cadre enchanteur accompagné de glaces toutes aussi délicieuses les unes que les autres, était le lieu choisi par Didier pour trouver sa future financière. Il a fallu que ce jour là Elodie y soit avec sa meilleure amie Anne, qui, plutôt issue d’un milieu modeste, était la fille du chauffeur personnel de la princesse. Anne connaissait le mauvais caractère de son amie mais elle savait aussi, que cette dernière manquait d’affection, entre une mère décédée, un père comblant son absence par des cadeaux et des amies arrivistes. Elodie n’avait jamais su ce qu’était l’amour.

L’entrée de Didier dans le glacier n’était pas passée inaperçue car presque toutes les femmes et même les hommes présents se retournaient pour l’admirer. Accompagné de Franck son meilleur ami, ils se dirigèrent directement vers le comptoir et s’installèrent cinq minutes plus tard avec leur commande. En apercevant, les deux filles assises au fond de la salle, Didier ne pensait plus à l’objectif qui l’avait guidé en Zone 4, mais plutôt à ce visage rayonnant qui illuminait la pièce. Cupidon l’avait frappé avec une pluie de flèches et il était tombé amoureux de cette fille, il le savait déjà.

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Deux semaines étaient passées, et Elodie ne parlait plus à Anne à cause de ce beau jeune homme de Nice Cream qui avait eu l’audace de porter ses yeux sur la pauvre plutôt que sur la fille du ministre. La jalousie est une bien mauvaise conseillère et Anne payait les frais de ce sentiment dévastateur. Combien de fois avait-elle été insultée par ses filles sorties de nulle part qui se faisaient appelées amies d’Elodie ? Elle en avait marre de ces injures et de toutes les menaces dont elle faisait l’objet, elle décida de ne plus répondre ni aux appels, ni aux invitations de Didier.

Didier avait oublié son plan « fils de pauvre en détresse ». L’élue de son cœur était pauvre comme lui, enfin, moins que lui mais n’empêche que pour elle il était plein de bonnes résolutions. Il a compris qu’il ne pourrait être avec elle à cause de cette fille pourrie gâtée de riche qui se croit tout permis. Didier avait pris sa décision, si c’est lui qu’elle voulait, alors elle l’aurait et sur un plateau d’argent même. La cour qu’il lui fit ne dura pas plus de deux jours qu’ils partageaient déjà le même lit.

Un mois plus tard, Didier avait plus de dix millions sur son compte d’épargne, et ses parents avaient déménagé dans un autre quartier de Yopougon bien plus agréable pour élever leur progéniture. Évidemment, ils pensaient que leur fils avait trouvé un travail car jamais, ils n’auraient pu imaginer que Didier pouvait inscrire le montant qu’il voulait sur les chèques d’un ministre de l’Etat. Didier avait renoué avec Anne mais bien sur ils vivaient leur amour en secret, bien loin des regards indiscrets. Anne savait très bien d’où venait l’argent de Didier mais bientôt elle n’aurait plus à s’en soucier, aussi elle acceptait cette relation cachée sans se plaindre.

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Elodie a réussit à avoir la clé du coffre fort de Monsieur le Ministre de l’urbanisme. En l’ouvrant, elle n’en revenait pas, son père cachait plus d’un milliard dans son coffre car, avec la situation du pays, disait-il, il faut avoir du liquide à portée de main. Du liquide, elle en avait, et elle en donnerait volontiers à son amour Didier pour qui elle était prête à tout. Dans la nouvelle voiture qu’il venait d’acheter, Didier a chargé dix valises remplies de billets de banque. Quelques bisous à sa financière et il rentra chez lui retrouver sa famille et sa fiancée. 

Tout se passa rapidement, quelques salutations échangées avec papa et maman, un bisou à Anne sa chérie, un jus d’orange pressé déversé dans la gorge et Didier était allé se coucher. Anne rentra deux minutes dans la chambre et informa ses futurs beaux parents qu’elle partait faire une course rapide avec la voiture de Didier. A son réveil, Didier ne s’inquiétait pas de ne pas voir sa fiancée, sa mère lui a dit qu’elle était allée voir sa mère malade à l’hôpital et qu’elle avait utilisé sa voiture. Il était vingt trois heures lorsque Didier aperçut ce maudit bout de papier qu’il avait pris au départ pour un ticket de caisse. Pas grand-chose n’y était écrit : « Elodie t’a financé, merci de m’avoir financée à ton tour, je suis loin ne me cherche plus. »

Elodie avait reçu un message de son amie d’antan : « Merci Elo pour les sept cent millions que tu m’as offerte, je doute fort que ton père apprécie ce geste si généreux de ta part, quant à moi je suis déjà dans mon avion et on ne se reverra surement pas de sitôt ». Didier ne décrocha pas son téléphone malgré les nombreuses tentatives d’Elodie pour le joindre. Le ministre de l’urbanisme appela sa fille, elle devait se rendre à l’aéroport avec le chauffeur car la situation du pays empirait. Elodie se rendit donc aux Etats Unis chez l’une de ses tantes paternelles.
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 Les banques sont fermées, les comptes des ministres sont gelés, le Ministre de l’urbanisme n’est pas inquiet, il a assez d’argent dans son coffre fort, mais déception, arrêt cardiaque immédiat, le coffre est vide.

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