mardi 25 août 2015

Regards croisés

Illustration par Tatou Dembele

Ça devait faire plus de cinq minutes déjà que j’observais défiler la file de gens sans vraiment les voir. Eux aussi d’ailleurs semblaient ne pas m’apercevoir au milieu des autres personnes assises. Je me demandais ce que je faisais là. J’avais très longuement réfléchi et envisagé de rester à la maison. Plus d’une dizaine de fois j’avais décidé de ne pas franchir le seuil de ma chambre mais finalement j’étais là. Personne ne me dévisageait et moi de mon côté je préférais les ignorer. Faire comme si ce n’était pas pour moi en partie qu’ils étaient là. De toutes les façons, Je ne connaissais pas le quart des personnes présentes. Alors J’attendais patiemment, me contentant d’être assise, les yeux hagards et me disant que tout ceci n’était qu’un cauchemar. De temps à autre, une voix s’élevait au-dessus des bruits de pas, et alors je sortais quelque peu de mes pensées et observais ce qui se passait. C’est alors que je la vis. J’eus l’impression que c’était la première personne à avoir remarqué ma présence. Dans son regard, j’apercevais quelque chose que j’avais du mal à déchiffrer. C’était comme si cette inconnue m’avait comprise. Quel âge avait-elle ? Elle devait être plus âgée que moi mais surement de moins de 5 ans. Dans ses yeux, j’ai cru déceler de la peine. Mais ce que je ne comprenais pas c’était pourquoi ces yeux semblaient me dire : Désolée. Pourquoi est-ce que cette inconnue que je n’avais jamais rencontrée auparavant s’excusait. 

En pénétrant dans la salle, je ne m’attendais pas du tout à être émotive. J’y étais là uniquement pour faire bonne figure. À vrai dire, je n’avais pas longtemps réfléchi avant de décider d’y aller. Cela s’est fait comme ça, sur le coup. C’est seulement une fois installée, que je me suis rendue compte de l’endroit où je me trouvais. Les sièges, les crucifix, les images, aucun doute, cette salle faisait office d’église. S’il y avait une chose que je détestais à part les voyages en avion, c’était bien les établissements religieux. Mosquées, églises, temples… Je ne comprenais pas que des gens recherchent Dieu entre quatre murs alors qu’eux même martèlent qu’il est partout. Quoi qu’il en soit, il était trop tard pour revenir sur mes pas alors je pris place à l’instar des autres « fidèles. » Fidèles ils l’étaient, mais pas tous à la cause du Christ. Lorsque le célébrant nous invita à nous mettre en rang, je voulus au préalable rester assise. Cette histoire de se prosterner devant l’effigie d’une personne ne m’enthousiasmait pas du tout. Et finalement je décidai que je passerais sans m’arrêter devant cette image et que cela ne constituait en aucun cas un manque de respect. C’est d’un air désinvolte que j’avais pénétré dans la pièce quelques minutes auparavant. Pourtant une fois dans la file, je me retrouvai embêtée, ne sachant plus quelle attitude adopter. La consigne avait été donnée. « Ne saluer personne. Avancez juste. » Aucun visage ne m’était familier dans le groupe de personnes installées et à qui nous devions juste faire signe de révérence ou marmonner quelque chose. J’ignorais ce que faisaient les autres devant moi dans la file mais moi, j’avais l’intention de chuchoter quelque chose et de passer mon chemin le plus rapidement possible. Pourtant son regard me captiva. Tout d’un coup je pris conscience de ce qui m’entourait. Ce n’était pas qu’une simple église, ce n’était pas qu’une simple messe à laquelle je devais assister. Elle devait avoir quelques années de moins que moi, et je me demandais pourquoi est-ce qu’elle se retrouvait dans une situation pareille. J’avais envie de la serrer dans mes bras et de lui dire que tout irait bien même si toutes les deux, nous savions que c’était un mensonge. J’eus terriblement envie qu’elle me fasse un signe, qu’elle me montre qu’elle aussi m’avait vue, que quelque chose s’était passé. Mais elle se contenta de me regarder sans me voir, de la même manière qu’elle observait toutes ces autres personnes venues présenter leurs condoléances. 

Illustration par Tatou Dembele

Comme si cela pouvait changer quelque chose à ma peine. Comme si tous ces « mes condoléances » lâchés du bout des lèvres ramèneraient mon père. J’avais envie d’une seule chose dès que j’avais mis les pieds dans l’église, c’était de retourner à la maison. Je voulais m’emmitoufler sous ma couverture et oublier qu’il s’en était allé. Je n’avais nullement envie de voir des visages étrangers me dire à quel point ils regrettaient le départ de mon géniteur. Peu importe leurs bonnes intentions, je ne voulais pas de leur compassion. Seul le regard de cette jeune fille me fit d’une certaine manière apprécier le moment. Je ne savais pas pourquoi elle se sentait si peinée alors qu’elle ne l’avait pas tué; mais cette seconde de regards échangés avaient été le seul moment où j’avais senti que quelqu’un me voyait enfin. Peut-être qu’elle aussi était passée par là. Peut-être était-elle également orpheline.

Non je ne comprenais pas ce qu’elle ressentait. Comment aurais-je pu y prétendre ? Dans ses yeux, dans ce regard égaré, j’ai vu une jeune fille qui découvrait à peine l’adolescence et qui venait de perdre un guide dans ce monde de fous. J’eus peur de perdre le mien. De me lever un matin et d’apprendre qu’il était parti pour toujours. Elle était trop jeune pour traverser cela, trop jeune pour perdre son père. Et dans sa posture, dans sa tenue qu’elle avait surement négligemment choisie, je sentais qu’elle aussi se demandait ce qu’elle faisait là…

samedi 22 août 2015

Affres, hics d’aujourd’hui : Voyages avec Awa Ba



Lorsque je pénètre dans l’espace de la librairie du Palm Club, j’aperçois une jeune et belle femme toute en couleurs et assise quelque peu à l’écart dans le cercle que forment les chaises. Je l'apprécie aussitôt – à cause de sa tenue – sans savoir que c’est l’écrivaine du jour. J’ai donc découvert Awa Ba à l’occasion de livresque et j’en ai profité pour acheter son recueil de nouvelles Affres, hics d’aujourd’hui. 




Comme vous le savez sans doute j’aime moi-même écrire des nouvelles et laisser les lecteurs en plan avec de nombreuses questions. D’après la préface rédigée par Isaïe Biton Koulibaly pour Affres, hics d’aujourd’hui, c’est justement ce suspense à la fin des nouvelles qui fait la puissance de ce genre littéraire. Toujours est-il que parfois comme avec les nouvelles Destins de femmes, Le grand jour et Carrefour de la vie, on a vraiment envie de savoir la suite. On pourrait bien en imaginer une, mais ce serait tellement mieux si Awa Ba nous en disait plus…


Comme le titre l’indique, ce recueil de nouvelles est une compilation d’histoires traitant des maux qui minent l’Afrique contemporaine. L’auteure ayant effectué des voyages dans plusieurs pays africains, s’est inspirée du quotidien de leurs habitants pour nous offrir un cocktail d’histoires drôles et dramatiques. Côte d’Ivoire, Tchad, Madagascar, Togo, Gambie, Gabon sont quelques endroits où les personnages se retrouvent. J’aime l’usage d’expressions typiques de certains pays. Je me suis d’ailleurs rendu compte que certaines de ces expressions ont traversé les frontières et il sera surement difficile de savoir qui en sont les premiers utilisateurs. 




Déjà avec le titre, j’aurais dû me douter que l’auteure aime jouer avec les mots. Vous le noterai vous-même avec des nouvelles comme Mono ou poly ce n’est pas un game, NTIC: No trouble if communication, ou encore qui est pro du K-O…Les histoires sont agréablement simples mais parfois trop courtes à mon goût – parfaites pour ceux qui n’aiment pas les longs écrits –. 

Religion, polygamie, infidélité, internet, et VIH Sida font partie des sujets développés dans les différentes nouvelles. Une femme qui prend de l’âge et peine à trouver un époux, une autre qui le veut Blanc. Celle-ci le veut pour elle toute seule tandis que l’autre tombe amoureuse d’un homme déjà marié. Hormis quelques nouvelles, la plupart des hommes dans ce livre sont ingrats, trompeurs et frivoles. C’est à se demander si l’homme fidèle existe pour Awa Ba. Heureusement, avec Joseph dans Maculée Conception et Michel dans NTIC : No Trouble If Communication, on reprend espoir et on se dit qu’il existe surement des mâles qui ne sautent pas sur tout ce qui bouge. Il n’y a malheureusement pas une page avec la liste de toutes les nouvelles mais je les ai recensées pour vous en marquant en rouge mes préférées. J’ai compté en tout 21 nouvelles pour environ 213 pages. Bonne lecture à vous et attachez vos ceintures pour le voyage !


1- Un brin de folie

2- La pomme d’Ama

3- Croire, voir et pouvoir

4- Le sapeur au moral sap
é 

5- En mode célibattante

6- Qui est pro du ko

7- Idée de génie pour trouver l’âme sœur

8- Mono ou poly ce n’est pas un game


9- Carrefour de la vie

10- NTIC : No trouble if communication

11- Je veux mon blanc

12- Petit ministre

13- Maculée conception

14- Lettre ouverte

15- Destins de femmes

16- À Paname, pas d’âme ?

17- Premiers pas dans la vraie vie

18- Rester positif

19- Fashion victime

20- Débats conjugaux

21- Le grand jour

mardi 18 août 2015

The color purple: La couleur pourpre


Je ne sais pas pour vous mais je ressens toujours une certaine pression lorsque je lis un livre qui a été acclamé par tout le monde. Je ressens moi aussi le besoin de l’aimer, de comprendre ce que les autres ont compris, alors que ce n’est pas cela le but de la lecture. En lisant, nous sommes censés tirer nos propres conclusions, ressentir nos propres émotions... Comme le disait l’artiste ivoirien Yak lors d’une exposition, « l’art doit être subjectif et non objectif ». Et je pense que tout comme la sculpture et la peinture, les mots inscrits dans les livres parlent d’eux même et ne doivent pas être interprétés d’une seule manière. Je travaille encore à ne pas me laisser influencer par les avis des autres…

J’ai dit tout cela, mais ce n’est pas pour m’opposer à l’avis général sur le chef d’œuvre d’Alice Walker car The color purple est indubitablement superbe. J’ai flanché dès la première page. En effet, l’auteure ne nous laisse pas le temps de nous installer avant de nous assommer avec la souffrance de Celie, nous forçant à adopter et partager immédiatemen
t le drame de l’héroïne. 


The color purple est un roman épistolaire qui nous transporte dans l’univers du personnage principal Celie. À l’âge de 14 ans, elle est violée par l’homme qu’elle appelle « père » sans qu’elle ne puisse le dire à qui que ce soit. Elle décide alors de confier ses maux à Dieu à travers des lettres. Enceinte à deux reprises et séparée de ses enfants, Celie est ensuite offerte comme une vulgaire marchandise – et encore gratuitement – à un homme vivant avec 4 de ses enfants. Celie ne s’oppose jamais, se contente de faire tout ce à quoi elle est assignée. Mais malgré cela, les coups et les injures pleuvent sur son corps et son esprit déjà affligé. Lorsqu’elle rencontre Shug Avery, l’ancienne amoureuse de son mari, Celie découvre un autre monde. Elle découvre qu’elle est belle malgré ce que les hommes lui ont toujours dit. Elle découvre qu’elle peut aimer d’autres personnes que sa mère et sa sœur, et que quelqu’un peut elle aussi l’aimer pour ce qu’elle est. C’est le début d’un long parcours pour se rendre compte qu’elle a de la valeur. Et face à toutes les difficultés qu’elle rencontre, une seule chose la tient en haleine : l’espoir de retrouver sa sœur dont elle n’a plus eu de nouvelles pendant des années.


Dans chaque lettre, on découvre un peu plus la vie des noirs dans un pays qui leur refusait les mêmes droits qu’aux blancs. Mais plutôt que de se contenter d’un banal récit racontant le mépris de l’homme blanc pour l’homme noir, Alice va plus loin. Elle y raconte le désir de dominer de certains hommes, blancs comme noirs. Elle examine la vie de certaines femmes soumises, marchepieds de leurs époux, de la société. Et le refus de certaines comme Sofia, Nettie et Shug de se plier aux exigences des autres. Dans The color purple, on découvre également les rencontres et la relation entre les noirs des États Unis et ceux vivant en Afrique que l’on considérait comme des sauvages et des païens…

L’amour est un thème important dans le livre mais c’est surtout l’amour de soi-même qui est prôné. Comme moi, certains n’apprécieront surement pas que Celie rencontre agapè et éros dans les bras d’une femme. Mais j’ai finalement compris que The color purple va au-delà d’une simple histoire d’homosexualité. Comme le dit Alice Walker dans la préface du livre, il s’agit du combat d’une personne qui commence sa vie en tant que captive spirituelle mais qui grâce à son courage et à l’aide des autres va réaliser qu’à l’instar de la nature, elle est l’expression rayonnante de ce qu’elle a toujours perçu de loin comme le divin. 


À travers certains personnages, vous entendrez ou plutôt lirez des choses qui ne vous plairont pas forcement mais une chose est certaine, ce livre est à lire. Et pour ceux qui ne sont pas de grands fans des livres, je n’ai entendu que de bonnes critiques sur le film.

mardi 11 août 2015

Ahiman Women: les femmes de demain


Du jeudi 6 août au samedi 8 août 2015, s’est tenue la deuxième édition du camp de vacances organisé par Ahiman Women (femmes de demain.) Ahiman Women est une organisation créée par 4 jeunes femmes de moins de 25 ans, avec pour objectif la participation au développement de la Côte d’Ivoire, à travers le mentorat et des camps de vacances, pour des jeunes filles issues pour la plupart de familles modestes. J’ai tout de suite été séduite par la vision et la mission d’Ahiman que j’ai découvert l’année dernière sur Facebook. N’ayant pas eu l’opportunité de participer au premier camp de vacances, c’est avec enthousiasme que j’ai pris part à celui de cette année. Dans un article précédent, j’ai partagé ma première rencontre avec ma filleule, qui s’est déroulée le jour des résultats du bac 2015. Aujourd’hui, je vous offre un résumé de ce qui s’est passé pendant les trois jours de ce camp de vacances. 


Le jeudi 6 et le vendredi 7 août 2015, de nombreux ateliers ont été organisés à l’Insaac avec la participation de plus de 30 jeunes filles mentorées et d’une dizaine de mentors. En tout premier lieu, les filles ont été divisées en cinq groupes avec pour objectif de se trouver un nom, un logo, et un slogan. Avec l’aide des mentors, les demoiselles ont appris à se connaitre et à accomplir les tâches qui leur ont été assignées. Celles ayant déjà participé à la première Edition ont eu l’opportunité de dire ce qu’elles en avaient retenu, d’évoquer leur relation avec leurs mentors et les aspects à améliorer. J’ai apprécié ce moment qui m’a permis de superviser 7 jeunes filles, de les aider à prendre la parole et à proposer leurs idées.



Entre les différents ateliers, les mentorées ont eu la possibilité de faire des pauses musicales durant lesquelles nous avons pu apprécier leurs talents de danseuses et chanteuses. Ces petits moments ont permis de détendre l’atmosphère et de revitaliser mentors et mentorées. 



Entre visites de l’Insaac, ateliers sur le leadership, les métiers professionnels à dominance masculine, la littérature, les attitudes à adopter pendant les visites en entreprise, nous n’avons pas eu le temps de nous ennuyer. Les filleules ont également été initiées à la customisation d’accessoires avec le pagne, au modelage et à la peinture. Le clou de ce camp a toutefois été la conférence sur le thème : modèle, mentorat et coaching: bien s’entourer pour mieux réussir. Le panel était constitué de quatre femmes toutes aussi brillantes les unes que les autres dans leurs domaines respectifs. Il s’agissait des dames Gilberte Zébé, 
Fabienne Kombo, Édith Brou, et Yehni Djidji.



Je suis sortie de cette rencontre avec de nombreux conseils... Tout d’abord, il est primordial d’avoir une vision de ce que l’on désire être avant de se mettre en quête d’un mentor. De plus s’il est important d’avoir un modèle, nous ne devons en aucun cas chercher à être une copie de celui-ci. Nos panelistes nous ont invitées à avoir notre propre personnalité, à utiliser notre libre arbitre pour prendre nos propres décisions. Par ailleurs, la relation mentor-mentorée doit avoir des bases bien établies dès le départ et ne pas atteindre le domaine de l’intime. 




Adjoint au maire, présidente de parents d’élèves et Docteur d’état en pharmacie, Madame Gilberte Zébé a incité les jeunes filles à adopter l’excellence comme modèle. En se basant sur sa propre expérience, elle a souligné l’importance de toujours se lancer des challenges et de briser les préjugés. Pour Yehni Djidji, nous devons refuser que les autres nous imposent leurs limites car difficile ne signifie en aucun cas impossible. Édith Brou a quant à elle rappeler que nous pouvons grâce à internet suivre l’actualité de nos modèles. Ayant elle-même été inspirée par la force de caractère de sa grande sœur, c’est grâce au soutien de cette dernière qu’elle s’est frayée son chemin dans le monde de la communication digitale. Mais en plus de sa sœur, elle a affirmé suivre l’évolution d’Oprah Winfrey qui pour elle et des millions de personnes, représente un modèle de réussite féminin. Fabienne Kombo nous a invité à toujours garder le contact avec nos mentors et, à prêter attention à tout ce que notre entourage nous prodigue comme conseils. 



Il fallait aussi retenir de cet échange que les jeunes filles peuvent réussir dans les domaines scientifiques et tous ces autres secteurs que l’on dit masculins. L’une des panelistes de l’année dernière, a également pris la parole et reproché aux mentorées de ne pas être entrées en contact avec elle après le camp de vacances de l’année dernière. Après avoir fait un compte rendu de ses activités pendant l’année écoulée, elle a rappelé qu’il revient aux jeunes filles de se battre pour atteindre leurs objectifs. Il convient de mentionner qu'Ahiman Women 2015 a été une réussite grâce à la participation des partenaires que sont le Rotary Club et la Fondation Lady Jeanne.



J’espère avoir l’occasion d’être de la partie pour Ahiman Women 2016. Pour plus d’infos, aimez la page Facebook. J’aurais tant voulu vous raconter tout ce qui s’est passé pendant ces trois jours mais il fallait y être pour le vivre ! Et puisqu'une image vaut mille mots...








 

























mercredi 5 août 2015

L’appel des arènes, accourons y tous!


Ce livre la, il faut absolument que vous le lisez et que vous le faites lire. Il n’y a pas d’âge pour se perdre entre les lignes de L’appel des arènes. En parcourant les pages de ce roman, j’ai ressenti la même sensation que l’on éprouve lorsque l’on savoure de l’eau glacée en pleine canicule. Je ne sais pas si c’est ce livre en particulier ou si la plume d’Aminata Sow Fall est toujours aussi rafraichissante. Rafraichissant… c’est le seul qualificatif que j’ai trouvé après ma lecture.

Ne pas juger un livre à sa couverture prend tout son sens quand on examine l’état dans lequel celui-là se trouvait. Mal en point, ne se doutant surement pas que quelqu’un le lirait à nouveau. Pourtant, je fus conquise dès le d
ébut de L’appel des arènes

« Le professeur de Nalla est très heureux cet après-midi car la leçon du complément d’objet direct semble être parfaitement sue.

- Nalla, donne-moi un exemple d’objet direct.
- Le chauffeur a abattu un lion.
- Et quel est le complément d’objet dans cette phrase ? »


Je vous laisse y répondre – car vous connaissez évidemment le complément d’objet direct. – Je ne suis pas une grande fan des longues descriptions qui finissent la plupart du temps par ennuyer le lecteur. J’aime donc le fait que l’auteure nous plonge directement dans le vif du sujet, dans une conversation qui devrait évoquer des souvenirs douloureux ou pas de grammaire. Certes Aminata Sow Fall décrira parfois des endroits -presque trop beaux pour être vrais à mon goût -, mais toujours dans la justesse, sans encombres qui pourraient nous amener à sauter quelques lignes.


J’ai dit plus haut que mon livre –celui de mon frère en réalité – n’était pas très neuf. Cependant, j'étais loin de me douter qu’il pourrait y avoir des pages manquantes. Imaginez donc ma douleur lorsque je me suis rendue compte que la page 9-10 était aux abonnés absents. Devais-je continuer à lire, ou aller à la quête de cette feuille perdue ? La deuxième option présageait déjà un retour les mains vides alors bien malgré moi j’ai continué à lire, en espérant que cette page ne comportait pas des informations indispensables pour la compréhension de l’histoire…

Nalla est un garçon de 12 ans qui se passionne pour la lutte sénégalaise au grand désarroi de ses parents. Ces derniers ayant séjourné en Europe, font tout pour vivre loin des traditions et de tout ce qui pourrait rappeler leur africanité. Ndiogou et Diattou ont rompu les liens avec leurs familles respectives et ne côtoient que des toubabs Njallxaar, des faux blancs comme eux. Si les deux parents désespèrent d’éloigner leur fils des arènes, c’est surtout la mère Diattou qui en perd les pédales. Elle qui, à la suite d’un incident de quartier est fuie par tous et considérée comme une mangeuse d’âmes par les habitants de la ville, voit en l’attitude de son fils un énième coup du sort. De son côté, Nalla ne se préoccupe pas tant que ça des réprobations de ses parents. Il prend plaisir à découvrir l’univers fascinant des lutteurs, et à écouter leurs histoires fabuleuses. Grace à son amitié avec le géant André, puis avec Malaw, Nalla s’enivre des délices d’une vie simple, sans artifices mais pleine de mythe et de poésie.


Tout comme Seydou Badian dans Sous l’orage, Aminata Sow Fall met l’accent sur l’importance des relations humaines et dénonce l’individualisme qui s’installe de plus en plus dans nos sociétés. J’eus honte en lisant L’appel des arènes. J’entendais la voix de papa me disant : « Es-tu allée saluer tel tonton ? As-tu appelé tel autre ? Vous ne savez pas à quel point les relations sont importantes. Certes on peut être intelligent et avoir les diplômes mais la famille, les rapports que nous entretenons avec les autres, jouent un rôle déterminant dans notre vie. »


Aminata Sow Fall a su harmoniser des mots « simples » pour offrir un livre plein de couleurs et d’émotions. L’appel des arènes est une mise en garde contre l’aliénation et ce désir d’adopter entièrement les valeurs occidentales en rejetant tout ce qui devrait plutôt faire notre fierté d’appartenir au peuple africain. « L’aliénation est assurément la plus grande mutilation que puisse subir un homme. (…) Le désordre qui bouleverse le monde a pour cause l’aliénation collective. Chacun refuse d’être soi-même et se perd dans l’illusion qu’il peut se tailler un manteau selon sa propre fantaisie… Le mal est universel… Personne ne sait plus à quoi s’accrocher. (…) L’homme perd ses racines et l’homme sans racines est pareil 
à un arbre sans racines : il se dessèche et meurt. »

dimanche 2 août 2015

Sous l'orage, un conflit de générations


« L’homme n’est rien sans les hommes, il vient dans leur main et s’en va dans leur main. » C’est pour dire à quel point l’homme ne peut vivre sans son semblable peu importe le rang qu’il occupe dans la société. L’importance de la communauté est l’un des thèmes abordés dans le premier roman de Seydou Badian. Sous l’orage est la scène d’un conflit de générations opposant d’un côté les anciens, ainés, traditionnalistes attachés au passé et de l’autre, les jeunes ayant été à l’école française et pour la plupart enclins au rejet de toutes les coutumes sans exception.

Kany est une jeune fille issue d’une famille polygame et fréquentant l’école française. Son père Benfa, l’a promise en mariage au riche commerçant Famagan qui a déjà deux autres femmes sous son toit. Comment Kany voyant les souffrances que subit sa mère au quotidien du fait de ses deux coépouses, pourrait-elle accepter de se lier à Famagan ? Comment pourrait-elle accepter de quitter les bancs de l’école pour être relayée au fond d’une case, et délaissée à la moindre occasion pour une plus jeune ? Mais surtout, comment pourrait-elle abandonner son amour Samou, élève comme elle, et avec qui elle a fait un pacte de sang pour consolider la passion les unissant ?



Au-delà du thème du mariage forcé, ce livre est surtout un appel à la conciliation entre nos valeurs africaines et la modernisation. Ce mariage pour les anciens tout comme pour les jeunes, représentait une bataille à vaincre pour asseoir ses idées et montrer à l’autre camp, qui menait la barque. Mais Seydou Badian à travers les voix de Tiéman-le-Soigneur et Kerfa, rappelle qu’il ne devrait pas y avoir d’animosité entre les anciens et les jeunes. Il invite plutôt les jeunes à mettre de l’eau dans leur vin, et à ne pas « flanquer tout par-dessus bord ». « Vous avez tort de vouloir tout laisser tomber. Vous avez tort d’essayer d’imiter les Européens en tout. Comprends-moi bien. L’homme européen n’est qu’un des multiples aspects de l’homme. On ne vous demande pas d’être Européens. On ne vous demande pas de vous défigurer. (…) Il n’est pas question pour vous de fuir votre milieu. Cherchez plutôt à agir sur lui. Cherchez à sauver ce qui doit être sauvé et essayez d’apporter vous-même quelque chose aux autres : une figure dans l’ébène, le paysage rutilant de chez nous sur une toile de peintre ! (…) Il ne s’agit pas évidemment de tout accepter. Mais faites un choix. Les coutumes sont faites pour servir les hommes, nullement pour les asservir. Soyez réalistes ; brisez tout ce qui enchaine l’homme et gène sa marche. Si vous aimez réellement votre peuple, si vos cris d’amour n’émanent pas d’un intérêt égoïste, vous aurez le courage de combattre toutes ses faiblesses. Vous aurez le courage de chanter toutes ses valeurs (...) L’humanité serait vraiment pauvre si nous devions tous nous transformer en Européens. »


J’ai bien peur en retranscrivant ce passage, que ces conseils viennent un peu trop tard. Évidemment ils étaient d’actualité à l’époque où Sous l'orage a été publié mais comment les appliquer de nos jours ? Nous sommes aujourd’hui nombreux à n'avoir jamais mis les pieds au village, à ne pas comprendre nos langues maternelles, alors ce n’est même pas la peine de nous demander de partager ne serait-ce qu’une de nos traditions. Comment revenir aux sources lorsqu’on n’a quasiment aucune idée d’où elles se trouvent ? Je fais partie d’une génération qui n’a connu que la grande ville - à part quelques exceptions - . Et même pour ceux qui ont grandi au village, tout le monde veut ressembler aux citadins qui eux même ne savent plus qui des Européens ou des Américains – mondialisation oblige – ils doivent imiter. Pourtant il faut quand même sauver quelque chose. Comment ? Je ne sais pas encore. Mais je suis convaincue que les écrivains peuvent et doivent jouer le rôle de gardiens et de transmetteurs de nos valeurs et de notre histoire, comme l’ont fait les griots par le passé. C’est d’ailleurs ce que fait Seydou Badian dans la deuxième partie du livre, en racontant l’une des versions des derniers instants du grand conquérant Chaka...