![]() |
Illustration par Tatou Dembelé |
Le visage en face d’elle était méconnaissable. Elle avait du mal à reconnaitre l’homme qu’elle avait aimé et épousé il y avait de cela une dizaine d’années. Elle détourna son visage et fixa la porte, espérant qu’une âme charitable y entre et délivre la pièce de ce lourd silence. Quinze minutes s’écoulèrent sans que cette expression de dégoût ne quitte le visage de Mamadou. On aurait dit qu’il avait envie de vomir mais qu’il se retenait difficilement. De grosses gouttes de sueur perlaient un visage dont les sourcils froncés présageaient le pire. Ses points étaient serrés, prêts à cogner. Les veines de son cou et de son front prêtes à éclater. Mais il ne dit mot et finit par se lever pour se diriger vers la sortie. Fanta attendait qu’il lui jette à la figure « Je ne veux plus de toi » ou encore qu’il se jette sur elle et la batte copieusement. Mais en lieu et place de cris et de coups, un silence étourdissant. L’homme qu’elle avait connu violent et nerveux ces dernières années, laissa place à un étranger. Il se retourna une dernière fois et survola la pièce du regard avant d’ouvrir la porte et de s’en aller.
Comme s’il avait senti que quelque chose de grave
venait de se passer, Karim se mit à crier de toutes ses forces de nouveau-né.
Il hurlait à fendre l’âme et ne se tut que lorsqu’il eut la bouche pleine du téton
gauche de sa mère. Tandis qu’elle allaitait son fils, Fanta se posait des
questions sur la réaction de son mari. Comment pouvait-il se maitriser de la
sorte après l’affront qu’elle lui avait fait devant toute sa famille, la ville
et même le pays tout entier ? Elle pensait qu’il aurait eu mal, qu’il
aurait eu envie de tout casser, de la briser. Et pourtant, il avait fait preuve
d’une maitrise de soi qu’elle ne lui connaissait pas. Elle se souvenait encore
de la raclée qu’elle avait reçu lorsqu’elle avait décroché son téléphone, et
demander à l’une de ses nombreuses maitresses de ne plus appeler à des heures
indues. Ce jour-là, n’eut été l’intervention de la servante et des gardes du
corps de Mamadou, ce dernier l’aurait surement envoyée au cimetière de Sinématiali.
Ce fut la même chose lorsqu’elle tenta de s’indigner parce qu’il avait amené un
troisième enfant bâtard sous leur toit. Monsieur lui rappela sans sourciller
que c’était lui qui mettait le pain dans la bouche de tous les habitants de la
concession, sans oublier les larges orifices de ses parents qui grâce à lui
dormaient dans une maison en dur là-bas, à quelques kilomètres de Ferké.
Lorsqu’elle voulut répliquer qu’elle ne travaillait plus uniquement parce qu’il
le lui avait demandé, une gifle magistrale lui apprit à fermer sa bouche quand
monsieur parlait.
En treize
années de vie commune, elle avait presque tout vécu. Le bonheur des noces
nouvelles, l’extase à la naissance des trois premiers enfants, l’éloignement
lorsque le corps de jeune fille laisse place aux vergetures d’une mère de cinq
enfants, jusqu’aux coups administrés à la volée pour un rien. Ses amies vers
lesquelles elle se tournait lui demandaient d’être patiente. Avec les hommes de
la trempe de Mamadou, il fallait savoir fermer les yeux, mettre le cerveau en
veille et endurer. Un homme aussi riche, élégant et puissant que lui, ça ne
courrait plus les rues d’Abidjan. Elle devait s’estimer heureuse qu’il n’ait
pas épousé l’une de ses maitresses. Elle aussi Fanta, en voyant toutes ses
amies qui souffraient dans des ménages à trois, quatre, cinq épouses, sans
compter les additionnels « bureaux », finit par se convaincre qu’il y
avait pire comme mari. Cependant, lorsque ce dernier commença à ne la toucher
que tous les trois mois, à ne plus consommer le moindre repas confectionné avec
soin et amour, Fanta se dit que s’en était trop. Chef d’État-Major de
l’armée ou pas, Mamadou n’était rien d’autre qu’un homme comme un autre. De
quelle matière était fait son sexe à lui pour qu’il ne reste pas
tranquille ? Elle décida qu’il fallait qu’elle arrête de se morfondre.
Elle décida que les lamentations et la résignation avaient été bien trop
longtemps ses compagnes.
![]() |
Illustration par Tatou Dembelé |
Alors Fanta
engagea un détective qui se chargea de découvrir chacune des maitresses de son
époux. La rumeur se répandit très rapidement que toutes les jeunes filles qui
sortaient avec le General Mamadou Diakité mourraient dans des conditions
mystiques. Certains parlèrent de meurtres pour devenir riche, d’autres encore
de sacrifices pour garder les faveurs du président de la république. Mais
personne ne soupçonna l’épouse affligée. Mamadou lui n’avait cure de toutes ces
rumeurs et continuait d’enchainer les conquêtes, autant que son statut le lui
permettait. Maladies sexuellement transmissibles? C’était pour les homosexuels
uniquement. Enfants hors mariage? Il en avait déjà une panoplie qu’il n’avait
pas de mal à nourrir. Des noirs, des jaunes, des blancs, partout où il passait,
Mamadou laissait sa semence et produisait des fruits. Un de plus ou de moins
n’y changerait pas grand-chose. Pourtant, lorsque sa femme tomba enceinte une
sixième fois, le général Diakité changea un tant soit peu. Il devint même une
sorte d’homme attentionné pour celle qu’il ne regardait presque plus. Il
rentrait deux fois par semaines, l’appelait pour l’informer lorsqu’il devait
aller effectuer une mission (tout le monde Fanta y comprit savait le genre de
mission que c’était), et lui offrait même quelques cadeaux quand l’envie lui
prenait.
Un soir, Fanta eut l’agréable surprise de voir
débarquer à son domicile un cortège de véhicules précédés par des motards.
Mamadou était en « mission », aussi fut-elle surprise de recevoir la
visite du président de la république lui-même en chair et en os. Tandis que ce
dernier s’approchait avec sa femme, Fanta ressentit des contractions. Son cœur
se mit à battre à un rythme fou et elle aurait embrassé le sol n’eut été la
vigilance du garde du corps qui la suivait comme son ombre. Le président
ordonna qu’on la transporte dans l’un des véhicules et tout le beau monde
se dirigea vers la PISAM. Le personnel se demandait qui pouvait bien être la
femme enceinte qui venait d’arriver pour que son Excellence même et son épouse
se trouvent dans la salle d’attente. Après deux heures intense de labeur, le
médecin annonça que la délivrance avait eu lieu. Le couple entra et paya ses
hommages à la mère et au nouveau-né avec le maximum de contenance possible en
de telles circonstances. C’était un beau petit bébé. « Le général a-t-il
été informé ? » demanda le président au garde du corps de Fanta.
« Oui mon excellence » répondit ce dernier.
Trente minutes seulement après le départ du couple
présidentiel, Mamadou arriva en trombe à l’hôpital. Heureux pour l’honneur qui
lui avait été fait par le président en accompagnant son épouse à l’hôpital. Il
aurait souhaité arriver pendant que le couple présidentiel y était encore mais
sa « mission » du jour se voulait capricieuse. Il aurait le temps
plus tard de remercier son Excellence. Tandis qu’il pénétrait dans la salle où
se trouvait Fanta, l’épouse du président elle, se démaquillait avant de se
mettre au lit. Elle se tourna vers son époux et lui souhaita bonne nuit avant
de rajouter « Si au moins il avait pris un peu de la mélanine de sa mère…je
n’ose même pas imaginer la tête que fera Diakité en voyant ce bébé blanc comme
neige. » De l’autre côté du pont, à l’aéroport Felix Houphouët Boigny, le
garde du corps de Fanta qui ne la quittait jamais, prenait un vol non-retour
pour son pays d’origine.
![]() |
Illustration par Tatou Dembelé |
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire