mardi 5 mai 2015

Peine Perdue !

Illustration par Tatou Dembelé


Chaque matin, elle mettait plus d’une heure dans la salle de bain à se demander en quoi est ce qu’elle se déguiserait ce jour-là. Elle avait tout fait pour attirer son attention sans aucun succès. Tout y était passé. Du style de la vierge effarouchée jusqu’à celui de la fille aux mœurs légères en passant par le costume du garçon manqué. Rien n’y fit. À ces yeux, elle n’était qu’un décor dans cette maison ou ne cessait de défiler toutes sortes de femmes. Des blondes décolorées aux négresses au derrière rebondi, toutes se succédaient dans son lit sans jamais trouvé place dans son cœur. Lorsqu’elle essayait de lui faire entendre raison, elle priait tout au fond d’elle qu’il la rabroue ou qu’il l’abreuve d’injures. Mais il lui répondait plutôt avec ce silence insultant, cette ignorance implacable dans laquelle il l’avait enfermée. Elle aurait pourtant voulu lui faire comprendre que la faute n’incombait pas aux autres mais plutôt à lui. Que toutes ces jeunes écervelées qui tombaient sous son charme ne changeraient pas grand-chose à la situation et qu’il était le seul responsable si l’on devait en trouver un. Chose qu’elle trouvait d’ailleurs ridicule. Même si elle aussi n’avait pas trouvé la route qui menait à son cœur, elle se consolait du fait d’être la seule maitresse des lieux, quand bien même tout échappait à son contrôle. Ses amies ne comprenaient pas qu’elle puisse se faire du sang d’encre à son sujet. 

-         Arielle tu es belle, jeune et intelligente. Tu ne sais pas la chance que tu as; lui rabâchait souvent Jeanne sa meilleure amie. À ta place moi j’en aurais profité pour m’éclater, aller en boite de nuit et rentrer uniquement si le cœur m’en dit. 

Lorsqu’elle essayait de lui faire comprendre que c’était de son amour à lui qu’elle avait besoin et pas d’une panoplie de petit amis, celle-ci renchérissait toujours que cette histoire d’amour et d’affection était une chose de blancs.

-         Tous ces livres occidentaux que tu lis ont fini par te faire perdre la tête. Ici nous sommes en Afrique. Il n’y a que des blancs pour parler de manque d’affection, de besoin d’amour. Moi par exemple, mes parents ne m’ont jamais dit qu’ils m’aimaient. Est-ce que j’en souffre pour autant ?

Parfois, Arielle avait envie de lui rétorquer que ce manque d’affection dont elle pensait ne pas souffrir était surement la raison pour laquelle elle n’arrivait pas à se décider qui de Jules, Mark, César ou d’Anthony était l’homme de sa vie. Elle n’arrêtait de papillonner d’hommes en hommes malgré toutes les maladies sexuellement transmissibles qui existaient. 

-         Tu sais Arielle, tu ne peux pas comprendre tant que tu n’as pas gouté au fruit défendu. 
-         Il y a surement une bonne raison pour laquelle il est défendu Jeanne. 
-         Oui parce que ceux qui y ont déjà gouté ne veulent pas que les autres y prennent gout également.

Arielle n’essayait jamais d’argumenter avec son amie quand il s’agissait de sexe. Après tout Jeanne n’avait peut-être pas tort. Son manque d’expérience devait surement lui interdire de donner son avis quand il s’agissait des parties de jambes en l’air de son amie.

-         Viens ce vendredi à la Case Dort. Je vais enfin te présenter à ce bel homme qui n’a d’yeux que pour toi. Je t’en ai parlé non ? Alexandre il s’appelle. 
-         Tu connais déjà ma réponse Jeanne.

Si elle aimait beaucoup son amie, Arielle ne partageait toutefois pas sa passion ni pour les bcbg qui pétaient plus haut que leurs culs, ni pour toutes ces soirées branchées durant lesquelles ceux-ci se retrouvaient pour parler des biens matériels de leurs parents.

Ce mercredi soir-là, elle rentra directement à la maison après les cours, et décida de faire la cuisine. Cela faisait un moment qu’elle n’avait pas mis la main à la pâte. Elle décida de faire de l’attieké avec du bon kedjenou de poulet. L’odeur qui lui chatouillait les narines  présageait un régal pour le palais. Elle s’en alla prendre une douche après avoir mis la table. 

-         Hum, ça sent bon par ici.

Elle savait qu’il était rentré lorsqu’elle entendit le portail s’ouvrir. Assise sur le lit, une serviette nouée à la poitrine, elle se demanda si elle devait aller le saluer ainsi ou si elle devait s’habiller, lui laissant le temps de s’installer à table. 

-         Arielle c’est toi qui as fait la cuisine ? C’est drôlement bon dis-donc.

Il l’avait appelée. Mieux, il l’avait félicitée pour sa cuisine. Ça lui arrivait de lui adresser la parole, de lui lancer des bonjours plus méthodiques que pour effectivement lui souhaiter de bonnes journées. Mais jamais elle n’avait pensé qu’un jour arriverait où il prononcerait son prénom d’un ton aussi enjoué. Elle se dépêcha de se vêtir et de le rejoindre au salon. Sa joie décampa aussi rapidement qu’elle était arrivée, lorsqu’elle le retrouva avec une jeune femme, attablés autour du plat qu’elle avait soigneusement préparé pour lui. Il lui mettait même à manger dans la bouche comme si cette dernière était manchote.

-         Je te présente Martine, qui habitera désormais avec nous.

« Encore une qui pense avoir mis le grappin sur lui. » se dit-elle. Elle aussi partirait comme toutes les autres, qui croyaient pouvoir prendre pied dans la vie de ce bel homme célibataire. Cependant lorsque Martine se leva pour aller se servir un jus de fruit dans le réfrigérateur, Arielle comprit. Elle comprit le ton enjoué, la bonne humeur, et que tout serait différent. 

-         Ah, je ne te l’ai pas dit ! Martine est également enceinte. Et devine qui en est l’auteur ?

Évidemment cette remarque n’était pas nécessaire. L’énorme bide que trainait cette Martine expliquait tout. 

-         Les médecins sont catégoriques. Cette fois, ce sera un garçon.

Il ne comprenait pas que si toutes les femmes qu’il engrossait mettaient au monde une fille, c’était bien parce que lui ne leur offrait qu’un chromosome X en lieu et place du Y qui aurait donné naissance au garçon désiré. Elle le lui aurait bien expliqué s’il daignait parfois l’écouter. Elle était la seule parmi les nombreuses filles qu’il avait engendrées à vivre auprès de lui et à supporter son détestable caractère. Il ne respectait pas les femmes, les considérait comme des objets et les regardait de haut. La mère d’Arielle était morte de chagrin en se rendant compte que l’homme pour qui elle avait tout abandonné ne lui accorderait jamais l’amour et le respect qu’elle méritait.  Pour Arielle, il était le seul proche qu’elle avait mais il semblait tellement lointain. Peut-être qu’enfin ce futur bébé changerait quelque chose pour elle aussi car elle le savait, son père ne l’avait jamais accepté pour ce qu’elle était.  Elle aurait beau ramener les meilleures notes de l’université, préparer les mets les plus succulents qui existent, elle était venue au monde sans deux paires de couilles et cela était impardonnable.

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