![]() |
Illustration par Tatou Dembelé |
Chaque
matin, elle mettait plus d’une heure dans la salle de bain à se demander en
quoi est ce qu’elle se déguiserait ce jour-là. Elle avait tout fait pour attirer
son attention sans aucun succès. Tout y était passé. Du style de la vierge
effarouchée jusqu’à celui de la fille aux mœurs légères en passant par le
costume du garçon manqué. Rien n’y fit. À ces yeux, elle n’était qu’un décor
dans cette maison ou ne cessait de défiler toutes sortes de femmes. Des blondes
décolorées aux négresses au derrière rebondi, toutes se succédaient dans son
lit sans jamais trouvé place dans son cœur. Lorsqu’elle essayait de lui faire
entendre raison, elle priait tout au fond d’elle qu’il la rabroue ou qu’il l’abreuve
d’injures. Mais il lui répondait plutôt avec ce silence insultant, cette
ignorance implacable dans laquelle il l’avait enfermée. Elle aurait pourtant
voulu lui faire comprendre que la faute n’incombait pas aux autres mais plutôt à
lui. Que toutes ces jeunes écervelées qui tombaient sous son charme ne
changeraient pas grand-chose à la situation et qu’il était le seul responsable
si l’on devait en trouver un. Chose qu’elle trouvait d’ailleurs ridicule. Même
si elle aussi n’avait pas trouvé la route qui menait à son cœur, elle se
consolait du fait d’être la seule maitresse des lieux, quand bien même tout échappait
à son contrôle. Ses amies ne comprenaient pas qu’elle puisse se faire du sang d’encre
à son sujet.
-
Arielle tu
es belle, jeune et intelligente. Tu ne sais pas la chance que tu as; lui rabâchait
souvent Jeanne sa meilleure amie. À ta place moi j’en aurais profité pour m’éclater,
aller en boite de nuit et rentrer uniquement si le cœur m’en dit.
Lorsqu’elle essayait de lui faire comprendre que c’était de son amour à lui qu’elle avait besoin et pas d’une
panoplie de petit amis, celle-ci renchérissait toujours que cette histoire d’amour
et d’affection était une chose de blancs.
-
Tous ces livres
occidentaux que tu lis ont fini par te faire perdre la tête. Ici nous sommes en
Afrique. Il n’y a que des blancs pour parler de manque d’affection, de besoin d’amour.
Moi par exemple, mes parents ne m’ont jamais dit qu’ils m’aimaient. Est-ce que
j’en souffre pour autant ?
Parfois,
Arielle avait envie de lui rétorquer que ce manque d’affection dont elle
pensait ne pas souffrir était surement la raison pour laquelle elle n’arrivait
pas à se décider qui de Jules, Mark, César ou d’Anthony était l’homme de sa
vie. Elle n’arrêtait de papillonner d’hommes en hommes malgré toutes les
maladies sexuellement transmissibles qui existaient.
-
Tu sais
Arielle, tu ne peux pas comprendre tant que tu n’as pas gouté au fruit défendu.
-
Il y a
surement une bonne raison pour laquelle il est défendu Jeanne.
-
Oui parce
que ceux qui y ont déjà gouté ne veulent pas que les autres y prennent gout également.
Arielle
n’essayait jamais d’argumenter avec son amie quand il s’agissait de sexe. Après
tout Jeanne n’avait peut-être pas tort. Son manque d’expérience devait surement
lui interdire de donner son avis quand il s’agissait des parties de jambes en l’air
de son amie.
-
Viens ce
vendredi à la Case Dort. Je vais enfin te présenter à ce bel homme qui n’a d’yeux
que pour toi. Je t’en ai parlé non ? Alexandre il s’appelle.
-
Tu connais déjà
ma réponse Jeanne.
Si
elle aimait beaucoup son amie, Arielle ne partageait toutefois pas sa passion
ni pour les bcbg qui pétaient plus haut que leurs culs, ni pour toutes ces soirées
branchées durant lesquelles ceux-ci se retrouvaient pour parler des biens matériels
de leurs parents.
Ce
mercredi soir-là, elle rentra directement à la maison après les cours, et décida
de faire la cuisine. Cela faisait un moment qu’elle n’avait pas mis la main à
la pâte. Elle décida de faire de l’attieké avec du bon kedjenou de poulet. L’odeur
qui lui chatouillait les narines présageait
un régal pour le palais. Elle s’en alla prendre une douche après avoir mis la
table.
-
Hum, ça sent
bon par ici.
Elle
savait qu’il était rentré lorsqu’elle entendit le portail s’ouvrir. Assise sur
le lit, une serviette nouée à la poitrine, elle se demanda si elle devait aller
le saluer ainsi ou si elle devait s’habiller, lui laissant le temps de s’installer
à table.
-
Arielle c’est
toi qui as fait la cuisine ? C’est drôlement bon dis-donc.
Il l’avait
appelée. Mieux, il l’avait félicitée pour sa cuisine. Ça lui arrivait de lui adresser
la parole, de lui lancer des bonjours plus méthodiques que pour effectivement
lui souhaiter de bonnes journées. Mais jamais elle n’avait pensé qu’un jour
arriverait où il prononcerait son prénom d’un ton aussi enjoué. Elle se dépêcha
de se vêtir et de le rejoindre au salon. Sa joie décampa aussi rapidement qu’elle
était arrivée, lorsqu’elle le retrouva avec une jeune femme, attablés autour du
plat qu’elle avait soigneusement préparé pour lui. Il lui mettait même à manger
dans la bouche comme si cette dernière était manchote.
-
Je te présente
Martine, qui habitera désormais avec nous.
« Encore
une qui pense avoir mis le grappin sur lui. » se dit-elle. Elle aussi
partirait comme toutes les autres, qui croyaient pouvoir prendre pied dans la
vie de ce bel homme célibataire. Cependant lorsque Martine se leva pour aller
se servir un jus de fruit dans le réfrigérateur, Arielle comprit. Elle comprit
le ton enjoué, la bonne humeur, et que tout serait différent.
-
Ah, je ne te
l’ai pas dit ! Martine est également enceinte. Et devine qui en est l’auteur ?
Évidemment
cette remarque n’était pas nécessaire. L’énorme bide que trainait cette Martine
expliquait tout.
-
Les médecins
sont catégoriques. Cette fois, ce sera un garçon.
Il ne
comprenait pas que si toutes les femmes qu’il engrossait mettaient au monde une
fille, c’était bien parce que lui ne leur offrait qu’un chromosome X en lieu et
place du Y qui aurait donné naissance au garçon désiré. Elle le lui aurait bien
expliqué s’il daignait parfois l’écouter. Elle était la seule parmi les
nombreuses filles qu’il avait engendrées à vivre auprès de lui et à supporter
son détestable caractère. Il ne respectait pas les femmes, les considérait
comme des objets et les regardait de haut. La mère d’Arielle était morte de
chagrin en se rendant compte que l’homme pour qui elle avait tout abandonné ne
lui accorderait jamais l’amour et le respect qu’elle méritait. Pour Arielle, il était le seul proche qu’elle
avait mais il semblait tellement lointain. Peut-être qu’enfin ce futur bébé
changerait quelque chose pour elle aussi car elle le savait, son père ne l’avait
jamais accepté pour ce qu’elle était. Elle
aurait beau ramener les meilleures notes de l’université, préparer les mets les
plus succulents qui existent, elle était venue au monde sans deux paires de
couilles et cela était impardonnable.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire