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Illustration par Tatou Dembele |
Je me souvenais encore des alertes que lançait le curé de la paroisse Saint
Marc cinq ans auparavant. « Faites attention à vos enfants et à vous-même.
Ne passez pas par des endroits obscurs tous seuls, surtout les jeunes filles.
Avec les fréquents enlèvements qu’il y a eu dernièrement, mieux vaut être
prudent. » Et pourtant je me retrouvais à cette heure indue de la nuit
dans une ruelle réputée pour avoir été le lieu de bon nombre de kidnappings. Je
venais de terminer la messe anticipée du Samedi et c’est ce raccourci que j’avais
décidé d’emprunter comme je le faisais depuis plus de trois ans. Maintes fois,
mes amies m’avaient déconseillée ce chemin, mais à chacune de leurs plaintes, répondait
un haussement d’épaules désinvolte. « Ne vous déplacez qu’en groupe
lorsque vous devez rentrer chez vous les soirs, ne laissez pas vos enfants
partir tous seuls à la boutique, même si elle se trouve à cinq mètres de la
maison. » Tous ces conseils bien qu’utiles n’avaient pas empêché le drame
de se produire…
L’homélie du prêtre avait porté sur l’amour du prochain et le pardon. Comme
il y a de cela quelques années il nous a aussi invités à la prudence, les mêmes
causes produisant les mêmes effets. Lorsque j’empruntai une énième fois ce
couloir, je ne m’attendais pas à tomber nez à nez avec cet homme qui tirait par
la force Kitana, la fille de ma voisine. Une lueur macabre brillait dans ses
yeux, perceptible malgré le mauvais éclairage du couloir. Il se fit de plus en
plus menaçant à mon approche et resserra son étau autour du poignet de Kitana. Je
me demandais ce qu’elle faisait dehors à cette heure, mais cette question
laissa rapidement place à l’imminence du danger. Ce n’était même plus Kitana
que j’apercevais. À travers cette scène, je voyais mon propre enfant luttant pour
rester auprès des siens. Tout à coup les images se firent plus claires dans mon
esprit. L’homme devant moi circulait beaucoup dans le quartier bien que n’y
habitant pas. Il avait l’habitude de s’asseoir à l’aire de jeux où les enfants
jouaient au football…
Je trainais depuis longtemps une sourde
colère tenant compagnie à une tristesse sans nom. Cette tristesse qui me
suivait telle mon ombre depuis le jour que j’ai perdu Donikan. Chaque nuit je
revoyais son sourire, les fossettes qui creusaient joliment ce tendre visage trop
tôt enlevé au cocon familial. Son petit corps frêle m’apparaissait, gesticulant
dans le quartier, tapant dans un ballon de foot avec ses petits camarades. Puis
comme un cauchemar surgissaient tous ces petits corps dénués du moindre souffle
de vie, mutilés pour servir des desseins malsains. Pendant longtemps je me suis
demandée si c’était des êtres humains qui commettaient de telles atrocités. Pour
le pouvoir, la richesse, ils étaient nombreux à endeuiller des familles en leur
arrachant ce qu’ils ont de plus précieux.
Malgré les cinq longues années qui s’étaient écoulées, j’avais l’impression
de tout revivre à nouveau. Et pour cause, les élections approchaient, et des
enfants ainsi que de nombreuses jeunes filles disparaissaient. - Il faut croire
que la jeunesse et la gent féminine est beaucoup appréciée par les esprits
malins qui se cachent derrière tous ces sacrifices humains.- À nouveau tout le monde
était aux aguets, surtout chez le petit peuple. Les rumeurs disaient que c’étaient
des autorités, des « grands types », qui étaient à l’origine de cette
macabre chasse à l’homme car ils devaient consolider leurs positions après les élections.
Et comme si cela ne suffisait pas, une nouvelle race de prédateurs avait vu le
jour depuis quelques années.
Ils avaient commencé par arnaquer les Européens
sur internet - soit disant pour se faire rembourser la dette coloniale-. Sans
tenir compte de la mauvaise propagande qu’ils faisaient de leur pays, ils se
sont ensuite attaqués à tout le monde y compris aux Africains - surement cette fois
pour venger les esclaves vendus par leurs propres frères pendant la traite négrière-
… Ceux que l’on appelle brouteurs faisaient donc partie de ceux dont on devait
se méfier au risque de perdre un proche ou sa propre vie. Lorsque les pigeons se
faisaient rares, ces bovidés amateurs de chair humaine détruisaient des vies sur
les recommandations de leurs charlatans. Pour être riche dans certaines sphères,
il fallait offrir des organes humains aux génies…
Lorsque je vis la lame du couteau briller dans le noir, ma main avait déjà
saisi mon revolver et s’en était suivi un bruit sourd. L’homme était à terre, touché
à l’épaule et avait lâché l’arme blanche. La petite avait crié avant de courir
se mettre derrière moi. Il me regardait, se trainait, gémissait de douleur et me
suppliait de le laisser vivre.
-
Je vous en prie, c’est la misère qui m’a conduit sur ce
chemin. Je t’en prie je ne recommencerai plus.
-
Écoutais-tu les supplications de cette fillette il y a de
cela quelques minutes ? M’aurais tu épargnée la vie si tu en avais eu
l’occasion ? Vous êtes tous pareils, des monstres qui ne méritez pas de
vivre.
Je m’apprêtais à tirer lorsque j’aperçu au loin surplombant les
habitations, un panneau publicitaire affichant « Alerte enfants en détresse appelez le 116. » À quelques encablures
de là se trouvait également la gendarmerie d’un côté et le commissariat de police
de l’autre. Le coup de feu aurait dû alerter quelques curieux dans les minutes
suivantes. J’aurais pu attendre que la justice fasse son travail. Mais devant
moi, se succédaient les différents cadavres d’enfants que j’avais du identifier
à la recherche de mon fils.
Face à ce criminel sous mes yeux, se superposait l’image
du lit vide de Donikan. Le rêverais-je un jour ? Finirais-je par savoir ce
qu’il est advenu de mon bien aimé ? Pourquoi ne devrais-je pas me faire justice ? Pourquoi ne pas lui
faire payer pour les crimes qu’il a commis et qu’il commettra surement si
jamais les forces de l’ordre ne font pas correctement leur travail ? Tandis
que j’ajustais mon arme pour faire feu, des gouttes de pluie me tombèrent sur
le visage…ou plutôt des perles de sueur après avoir encore fait le même
cauchemar. Je me réveillai en sursaut. À mes côtés, dormait ce petit être
fragile qui illumine mes journées. Je le serai dans mes bras en ayant une pensée
pour ces familles endeuillées par des êtres sans vergogne...
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