jeudi 27 juin 2013

IL ETAIT MIEN ET J'ETAIS SIENNE





  • Aristide est rentré à la maison aux environs de 22h. Franck notre fils a couru dans ses bras comme à son habitude. J'aimais voir les deux hommes de ma vie réunis. La flamme qui brillait dans les yeux d'Aristide chaque fois qu'il prenait Franck dans ses bras me donnait envie de lui donner un second fils. Malheureusement nous avions tout essayé mais les anglais débarquaient chaque mois comme s'ils se préparaient à reconquérir l'Amérique. Je désespérais de voir un jour un nouveau né qui meublerait mes nuits de ses cris. Les médecins m'avaient déclarée saine et apte à porter une seconde grossesse sans le moindre risque. Les féticheurs et autres charlatans n'avaient pas trouvé de solution à mon problème alors j'ai fini par me décourager.
    - Ca va chérie? Me demanda t-il après avoir déposé notre fils.
    - Oui oui et toi mon amour?
    -Oh tu sais quand ca va chez toi alors ça va chez moi.
    - Assieds-toi que je t'apporte à manger.
    Cela faisait trois ans que Franck était né et j'avais perdu mes habitudes avec Aristide; je n'étais plus la femme aimante qu'il avait connu à nos débuts. Il ne s'en plaignait pas mais je savais bien que j'avais changé, peut être par lassitude. Autrefois, je l'aurais débarrassé de sa chemise avant de lui faire un délicieux massage afin qu'il se détende. Autrefois quand il était vraiment mien et que j'étais vraiment sienne...
    A présent la monotonie s'était installée dans notre couple et le romantisme avait claqué la porte. Toutefois je savais que j'étais quand même sienne et qu'il était quand même mien.
    Aristide et moi nous sommes rencontrés à une édition du salon du livre à Abidjan et c'est notre passion commune qui nous a réunis. J'avais rarement vu un Africain aimer la lecture comme celui qui devînt plus tard mon homme. Il avait cette soif de connaissance qui caractérise les grands philosophes et je pouvais affirmer sans crainte de mentir qu'il était très intelligent. Aristide faisait partie de ce genre de personnes qui remettait tout en cause sans pour autant être paranoïaque. Tu lui parlais de franc maçonnerie et d'illuminatis, ils te disaient que des hommes avaient travaillé dur pour en arriver où ils étaient. Tu essayais de discuter d'un quelconque conflit à l'autre bout de la terre et il arrivait a te faire voir au delà de ce que servaient les medias. Il ne prenait jamais parti pour une cause en se basant sur les apparences mais toujours après avoir cherché le pourquoi du comment .Il avait cette envie folle selon moi de changer le monde. Il voulait faire l'histoire, être un exemple, un modèle pour les générations futures. Par dessus tout il était un grand croyant faisant de moi la femme la plus comblée qui soit. Il était mien et j'étais sienne.
    - C'était comment le boulot aujourd'hui?
    -Comme d'habitude, répondit Aristide. Des chiffres et toujours des chiffres à calculer, c'est d'un ennui...
    C'était toujours ainsi que se terminaient nos conversations depuis un certain temps. Aristide ne me parlait plus de ces journées au travail. Il avait perdu cet enthousiaste qu'il avait jadis chaque fois qu'il défendait ses idées révolutionnaires pour développer l'Afrique. Il s'était résolu à travailler derrière un bureau joliment décoré avec pour seuls compagnons des chiffres, toujours des chiffres. Je me sentais un peu coupable de ce changement. J'avais l'impression que mon apparition dans sa vie avait bouleversé tous ses projets. Que dis-je! Ce n'était pas une impression c'était la réalité. Depuis quelques années j'étais sienne et il était mien alors ses rêves étaient loin.
    Après le dîner Aristide alla border Franck et vînt me rejoindre dans notre chambre à coucher. Je lisais à ce moment la "l'étranger" d'Albert Camus. Mon bien aimé sourit en me regardant et alla prendre sa douche. Je savais que j'aurais à ranger mon roman dans quelques instants. Aristide après sa douche serait venu me serrer dans ses bras et il m'aurait demandé pourquoi je lisais ce roman que j'avais déjà lu plus d'une dizaine de fois. Je lui répondrais par un baiser et nous aurions passé la nuit à froisser les draps car dans ce lit il aurait été mien et j'aurais été sienne.
    J'étais encore dans mes pensées quant à la nuit d'amour qui m’attendait lorsque son téléphone portable signala un message. Ce n'était pas dans mes habitudes de fouiner mais ce jour là, je me suis risquée à lire ce qui ne m'était pas autorisée.
    "Mon amour tu me manques déjà. J'espère que tu as fais un bon voyage. Passe une bonne nuit."
    Mon cœur fit un bond dans ma poitrine après avoir lu ce message. J'avais mal certes mais je ne pouvais crier ma douleur et cela me faisait encore plus souffrir. Aristide avait renoncé à ses rêves parce qu'il avait en horreur le scandale. Il avait toujours été un modèle de vie jusqu'à ce que j'entre dans sa vie. Entre l'amour et une Afrique meilleure, il avait choisi d'être égoïste. Il m'avait choisi moi alors je ne pouvais pas me plaindre. J'étais sienne et il était mien mais personne ne devait le savoir. J'étais sienne et il était mien mais elle était l'épouse légitime stérile et j'étais la maîtresse qui lui avait donné un fils.
    Aristide sortit de la douche et m'embrassa une fois installé dans le lit. Il n'était là que pour une semaine pendant laquelle elle le croyait à l'extérieur du pays. Il était là à mes côtés me donnant tout ce que je désirais. Il était la me faisant sienne et se faisant mien. Il m'aimait; peut être pas avec la même intensité qu'au début mais pour moi il avait bafoué les règles de sa religion. Il était là me couvrant de cadeaux et de mots doux. Il était mien et j'étais sienne mais jamais nous ne formerions qu’un.